Patrice Talon a donné hier sa première interview depuis l’officialisation de son second mandat à la présidence du Bénin. L’entretien, conduit par des médias gouvernementaux français, en dit long sur les projets du président béninois.
C’est une démocratie sans opposants que voudrait installer le président béninois Patrice Talon. Lors d’une interview diffusée par France24 et Rfi, Talon s’est expliqué sur les questions les plus brûlantes entourant sa gestion du pays. Cela fait plus de deux semaines que les forces de l’ordre béninoises ont arrêté Joël Aïvo, le dernier opposant de Talon. Reckya Madougou, l’ancienne ministre béninoise et l’opposante la plus notable, a été détenue le 3 mars. Des dizaines d’autres opposants béninois ont été mis aux fers ces derniers mois, dans une suite d’arrestations semblables à celles des films hollywoodiens.
C’est donc, notamment, afin de s’expliquer sur cette rafale d’arrestations, que Talon s’est enfin adressé à l’opinion publique. Son choix des médias d’Etat français, lui, est un message clair pour l’Occident. Le Bénin traverse une crise économique et sanitaire. Au-delà de la notation financière favorable attribuée au bénin par Standard & Poor’s, le président voudrait séduire les instances internationales. Une entreprise qui pourrait donc s’avérer difficile avec toute l’opposition en prison, et le silence qui entoure ce paradigme.
Entre tyrannie et sévérité, la sémantique
D’abord, plusieurs Etats ont adressé leurs félicitations à Talon à la suite de sa réélection. Les Emirats arabes unis, Oman et Israël ont été les premiers. Toutefois, Talon a été comme boycotté par les Etats africains, ainsi que par les chefs d’Etat occidentaux les plus influents en Afrique. Il est vraisemblable que l’interview de Talon soit une tentative de rallier ces derniers à sa politique de terre brûlée. Rappelons que Talon n’a pas été invité aux obsèques d’Idriss Déby. De plus, les médias occidentaux non français ne l’avaient pas ménagé.
En effet, les déclarations de Talon ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Notons que le président béninois a déclaré qu’il ne se présentera pas pour un troisième mandat, une promesse discutable en-soi. Cet engagement a toutefois englobé une promesse plus alarmante. Patrice Talon a révélé : « Plusieurs opposants ont planifié une insurrection pour me faire tomber. », a-t-il expliqué. Après, le président du Bénin a certifié : « Je n’envisage pas de gracier les opposants. », une déclaration nette et précise, donc.
En marge, les félicitations des chefs d’Etat, extrêmement ajournées, ont afflué vers le résident du palais de la Marina. Une lettre du président turc Recep Tayyip Erdoğan a été envoyée à Talon via les canaux diplomatiques officiels ce jeudi. S’en sont suivis des messages de félicitations de Xi Jinping, président de la Chine, et du ministre des Affaires Etrangères russe. Au niveau de l’Afrique, une série de surprises a eu lieu cette semaine.
C’était d’abord le président nigérien, Mohamed Bazoum, qui avait félicité Talon pour sa réélection le 24 avril. Trois jours plus tard, le président ivoirien Alassane Ouattara a adressé un télégramme à Talon, le félicitant pour sa « brillante réélection ». Le même mardi, le roi du Maroc a envoyé une lettre officielle à la présidence béninoise via son ambassadeur.
Faure Gnassingbé, le nouveau meilleur copain de Talon
Néanmoins, la réelle surprise était la lettre d’éloge qu’a adressée le président togolais à Patrice Talon. En effet, Faure Gnassingbé, supposé en froid avec son homologue béninois depuis l’incarcération de Madougou, a fait part de ses félicitations à Talon. Une grande surprise, dans la mesure où Reckya Madougou a été une conseillère de Gnassingbé avant d’être arrêtée au Bénin.
Certes, les deux présidents ont des intérêts communs évidents, imposés par les mœurs du voisinage, notamment. Cependant, au vu des allusions de Talon, qui insiste encore que Reckya Madougou aurait tenté de le renverser, en usant de soutiens financiers étrangers, le Bénin avait clairement provoqué le Togo. Cette amitié renouvelée entre les deux chefs d’Etat pourrait donc être le résultat de la pression occidentale. Et du fait du contexte, cette entente pourrait signer un destin sombre pour Reckya Madougou et les dizaines de ses alliés emprisonnés.
On ne peut s’empêcher de tenir compte du vocabulaire de Patrice Talon, lorsqu’il a été confronté à la question Madougou. Les charges de terrorisme et d’association de malfaiteurs auraient une définition bien particulière pour le président. Selon lui, les opposants incarcérés, en particulier Madougou, auraient causé les violences lors des manifestations de mars. En plus, les opposants auraient planifié de « brûler le Bénin » et de « faire des assassinats aveugles. », a déclaré Talon.
Enfin, marquant sa tendre amitié retrouvée avec Faure Gnassingbé, le président du Bénin a nuancé : « quand des autorités étrangères appuient un candidat et le financent, est-ce que leur implication va jusqu’aux crimes qu’il pourrait commettre ? Ce sont deux choses différentes. ».