Trente-quatre ans après l’assassinat de Thomas Sankara, la justice militaire du Burkina Faso a inculpé plusieurs personnalités parmi lesquelles l’ancien président Blaire Compaoré.
« L’heure de la justice a enfin sonné ! » Du côté des avocats de la partie civile, c’est le soulagement. Plus de trois décennies après l’assassinat de Thomas Sankara, la vérité finira-t-elle par éclater ? En octobre dernier, le dossier de l’assassinat de Thomas Sankara était renvoyé le devant le tribunal militaire de Ouagadougou. L’espoir, enfin, pour les avocats de la famille, d’assister à un procès dans ce qui reste une affaire sombre : l’assassinat du père de la révolution au Burkina Faso avait été tué lors d’un coup d’Etat en 1987.
Il aura fallu 33 ans pour que l’ordonnance de renvoi permettre d’affirmer que suffisamment d’éléments ont été réunis pour permettre la tenue d’un procès. Il aura fallu six mois supplémentaires pour que le procès s’ouvre enfin, ou presque. En attendant, le tribunal militaire de Ouagadougou a fini par inculper les 14 personnes poursuivies dans l’affaire. Parmi elles, l’ancien président, Blaise Compaoré.
Ce mardi 13 avril 2021, le tribunal militaire de Ouagadougou a accusé les prévenus d’« attentat à la sureté de l’Etat », de « complicité d’assassinat » et « recel de cadavres ». Outre Compaoré, le sergent Hyacinthe Kafando ou encore le général Gilbert Diendéré. Ce dernier, qui était le bras droit de Blaise Compaoré, est déjà emprisonné, accusé de tentative de coup d’Etat en 2015.
Lorsque Blaise Compaoré était arrivé au pouvoir, qu’il avait conservé pendant 27 ans, Sankara avait été exécuté par un commando. Sankara a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 1983, mais a été tué le 15 octobre 1987, à l’âge de 37 ans, dans un putsch dirigé par Compaoré. Le meurtre a eu lieu au siège du Conseil national de la Révolution (CNR), un certificat de décès « de mort naturelle » a été publié dans la presse plus tard. La nuit du meurtre, Sankara et d’autres avaient été enterrés en pleine terre sans signe distinctif.
L’affaire Sankara a été un tabou durant la présidence de Compaoré. Elle a cependant été relancée après sa chute. Il a fallu attendre 2014, et la fin du régime Compaoré, pour que l’affaire soit rouverte. Si plusieurs personnalités sont donc aujourd’hui dans le viseur de la justice du Burkina, Blaise Compaoré est lui, bien loin de Ouagadougou. Depuis 2016, un mandat d’arrêt a été émis contre lui par la justice de son pays. En mai 2015, les restes de Sankara et de sa garde rapprochée ont été exhumés et des analyses ADN ont eu lieu. Il a fallu attendre 2020 pour la reconstruction de l’assassinat de Sankara, sur les lieux du crime, sur ordre de la chambre d’instruction.
La France va-t-elle aussi livrer ses secrets ?
Mais Blaire Compaoré est aujourd’hui en Côte d’Ivoire et ne compte pas rentrer au pays. Quoi qu’il en soit, cette décision du tribunal militaire est une chance, pour la famille de Sankara, d’en savoir plus sur l’assassinat du Che Guevara africain.
L’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara n’est pas sans rappeler celle du meurtre, il y a soixante ans, de Patrice Lumumba, La famille de l’ancien premier ministre congolais attend, cette année, un procès à Bruxelles contre l’Etat belge et certaines personnalités qu’elle accuse de « complicité dans un vaste complot visant à l’élimination physique » de Lumumba.
Ce procès, s’il détermine le rôle de Compaoré et de ses hommes, pourra-t-il également permettre d’éclaircir le rôle de la France dans l’assassinat de Sankara ? En 2017, Emmanuel Macron avait promis la déclassification des archives françaises au sujet de cette affaire. Il indiquait que « tous les documents produits par des administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat » seraient déclassifiés et consultables par la justice burkinabè.
Mais après plus de trois ans d’attente, seuls deux lots d’archives sur les trois promis ont été effectivement livrés à la justice du Burkina Faso. Ce troisième lot est, selon les avocats de la famille, « le plus attendu » et il « manque toujours à l’appel malgré plusieurs relances du juge restées à ce jour sans réponses ». En attendant, la justice militaire du pays a décidé de lancer les hostilités à l’encontre des potentiels commanditaires de l’assassinat de Sankaré.