L’ancienne ministre de Yayi Boni, Reckya Madougou, est toujours sous mandat de dépôt, accusée « d’association de malfaiteurs » et de « financement du terrorisme » depuis le 5 mars, alors que les Béninois votent ce dimanche pour leur président.
En s’opposant à Patrice Talon, le président en lice pour un deuxième mandat, Reckya Madougou savait qu’elle risquait de finir dans une cellule de la prison civile d’Akpro-Missérété, à Porto Novo. Elle avait d’ailleurs prévenu ses proches, avant d’être arrêtée, qu’elle se sentait menacée. La candidate à la présidentielle béninoise, dont le dossier de candidature avait été rejeté par la Cour constitutionnelle, est actuellement emprisonnée. Elle est accusée d’avoir « planifié des exécutions en série de personnalités politiques » et inculpée pour « financement du terrorisme » par la Cour de Répression des Infractions Économiques et du terrorisme (Criet). Elle a été placée sous mandat de dépôt.
Depuis le 5 mars et la notification du juge de la détention et des libertés de la Criet, l’ex-conseillère du président togolais Faure Gnassingbé vit dans des conditions de détention devenues de plus en plus strictes. Ses jours de visite ont été réduits à un seul par semaine. Désormais, Reckya Madougou peut entrevoir sa famille une minute montre en main de façon hebdomadaire.
Pendant ce temps, le Bénin s’apprête à voter pour son président. Dans un communiqué, les ambassadeurs d’Allemagne, des Etats-Unis, de France et de l’Union européenne ont appelé à l’arrêt des violences et réclament une élection « libre, apaisée et transparente ». Sans citer Reckya Madougou mais en évoquant entre les lignes cette affaire, ils appellent timidement les acteurs politiques « à privilégier le dialogue et les gestes d’apaisement ». Plus tôt, Patricia Mahoney, l’ambassadrice des Etats-Unis au Bénin, a affirmé à propos de cette affaire : « Nous suivons de près le processus judiciaire et nous exhortons les autorités béninoises à mener des procédures de manière équitable et transparente dans le respect des règles de procédures ».
Ce que l’on sait sur l’affaire Madougou
Dans ces conditions de détention, l’opposante béninoise ne peut préparer son éventuel procès, aucune date n’ayant d’ailleurs été fixée. En effet, il est pour l’heure presque impossible pour ses conseils de s’entretenir avec elle dans la confidentialité, les entretiens ayant lieu en salle ouverte, sous surveillance accrue. Quant à son dossier, il n’a pas pu être consulté par la défense à ce jour. Seule la Criet serait à même de le délivrer. Seules quelques bribes de ce dossier, s’il existe, ont été livrées aux avocats, grâce à une audition de la prévenue.
Aujourd’hui, il est reproché à l’opposante d’avoir transmis de l’argent à l’un de ses proches, George Sacca, membre du parti Les Démocrates. L’entourage de l’ex-candidate du parti assure que cette somme devait servir à financer l’organisation d’un meeting à Parakou et à la mobilisation de sympathisants.
L’autre individu impliqué dans cette affaire est le colonel retraité Mama, qui aurait perçu quant à lui de l’argent de la part de George Sacca, pour subvenir aux besoins de sa fille qui effectue sa scolarité au Maroc, selon le militant politique des Démocrates. Les deux hommes ont été arrêtés, avant que Reckya Madougou ne soit appréhendée à son tour.
De nouveaux avocats pour plaider la cause de Reckya Madougou
La justice béninoise n’a, pour le moment, pas accepté de confrontation entre les trois prévenus qui ont tous été entendus par les officiers de police judiciaire. Et sans dossier judiciaire, difficile pour les avocats de Reckya Madougou de défendre leur cliente et de préparer leur défense, comme ils aimeraient le faire.
Selon des sources concordantes, la libération sous conditions de l’ancienne Garde des Sceaux se discuterait au palais présidentiel. Très critique vis-à-vis du pouvoir, Reckya Madougou serait-elle placée en résidence surveillée après le scrutin ? Pour pouvoir réfléchir à tous les scénarios, les droits fondamentaux de l’ancienne Garde des Sceaux doivent d’abord lui être accordés.
En attendant, la Béninoise prépare l’après-11 avril, et cela, quelle que soit l’issue du dossier Madougou. Reckya Madougou devrait même étendre son pool d’avocats internationaux. En plus de Mario Stasi, avocat et Président de la Ligue contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) qui s’est déjà exprimé en faveur de la libération de Reckya Madougou, celle-ci serait sur le point de faire appel à Antoine Vey. Pénaliste et technicien reconnu, dont l’ex-associé n’est autre que Eric Dupond-Moretti, actuel Garde des Sceaux français, Antoine Vey est également l’avocat de l’homme d’affaires et opposant béninois Sébastien Ajavon.
Les deux hommes devraient accorder leur voix avec une stratégie d’ores et déjà établie : plaider la cause de Reckya Madougou hors des frontières du Bénin et pointer le manque d’indépendance de la justice et de la Criet vis-à-vis du pouvoir béninois… Affaire à suivre.