A en croire le cabinet de la ministre française des Armées, la récente visite de Florence Parly au Mali avait pour but de montrer la volonté française de stabiliser le Sahel. Mais Paris voulait également livrer sa version des faits après des accusations de meurtres de civils.
La ministre française des Armées, Florence Parly, s’est rendue au Mali le 1er avril dernier. Il s’agissait, comme l’indique un communiqué du ministère, de confirmer « l’implication grandissante des Européens pour la stabilité du Sahel et leur détermination à poursuivre le combat au Mali face aux divers groupes terroristes ».
Et ce n’était pas un poisson d’avril. Quoique. Car la visite de la ministre survient quelques jours après la publication d’un rapport de la Minusma et de l’ONU sur la frappe aérienne française du 3 janvier qui a décimé au moins 22 personnes lors d’un mariage. La cible convoitée ? Une certaine « Katiba Serma », qui n’existait pas avant la date du bombardement.
Certainement histoire de calmer les esprits, Emmanuel Macron a donc envoyé sa ministre des Armées vers le Mali. Il s’agissait plutôt pour Paris d’une opération rachat. Ou plutôt justification et mensonges.
Une fuite en avant
Le rapport de la Minusma est le fruit d’une enquête de plusieurs semaines sur le terrain menée par une équipe de 19 membres du personnel de l’ONU, dont deux enquêteurs scientifiques de la police. Du 4 janvier au 20 février, ils se sont rendus dans les villes de Bamako, Sévaré, Douentza et Bounty. Ils y ont mené des entretiens avec plus de 115 personnes individuellement et 200 autres personnes en groupes, y compris des membres de la famille des victimes, des témoins et des représentants d’associations communautaires locales et des intervenants médicaux.
Leur rapport expose les mensonges de l’armée et du gouvernement français à la suite de l’attaque. Immédiatement après la frappe aérienne, Paris a en effet insisté sur le fait qu’il avait frappé un rassemblement de 30 membres d’un « groupe terroriste armé ». Le 20 janvier, la ministre des Armées Florence Parly avait été interrogée sur l’attentat lors d’une audition devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères. Parly avait alors qualifié les informations faisant état d’une attaque contre des civils d’exemple de « guerre de l’information » et de « rumeurs » utilisées pour discréditer l’occupation française au Sahel.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles l’armée française n’avait pas rendu publiques ses preuves prouvant que les victimes étaient de prétendus membres d’un groupe terroriste armé, Parly a affirmé que c’était impossible car cela montrerait « à nos ennemis ce que nous savons d’eux ». Pratique.
A la suite du rapport de l’ONU, Paris a redoublé de mensonges. Le 30 mars, les forces armées ont publié une déclaration, sous le titre : « Réaction au rapport de la Minusma sur les frappes aériennes de janvier au Mali ». Parly ne tente pas de répondre aux preuves substantielles fournies dans le rapport de 36 pages. Elle affirme simplement que « les seules sources concrètes sur lesquelles se fonde le rapport proviennent de témoignages locaux. ». Une façon de le discréditer sans apporter de preuves.
Pourtant, cela fait un moment que la France bombarde l’est malien avec ses drones et ses bombardiers. Une pratique plus que suspicieuse. Si le but était de protéger les soldats français, le rapatriement aurait été une solution parfaite pour sortir du bourbier malien.
Les nouveaux tirailleurs et leurs victimes africaines
Si Florence Parly ne s’est pas rendue au Mali pour admettre le crime de l’armée française et calmer les esprits, qu’est-elle donc allée faire ? Eh bien, dès le début de l’enquête de l’ONU sur le bombardement français, et même avant, la France a cherché une porte de sortie pour se soustraire à la responsabilité des meurtres de civils par les forces de l’opération Barkhane au Sahel.
Après avoir promis un financement aux troupes tchadiennes avant le sommet du G5 Sahel, afin de les motiver pour devenir la chair à canon de la guerre française dans la zone des « Trois frontières », la France a cherché des alliés européens afin de passer en arrière-plan les atrocités commises par les forces antiterroristes.
Ainsi, la force « Takuba » a obtenu le soutien des Tchèques, des Suédois, des Estoniens, des Italiens et sans doute celui des Américains. La Task Force Takuba utilisera donc les armées nationales des pays africains comme les forces sur le terrain et se focalisera sur un soutien aérien, l’entraînement et la logistique. Un plan qui a été décidé unilatéralement.
Quant au rapport sur le bombardement français, il laisse désormais place à une autre enquête, cette fois sur un bombardement plus récent. Ce dernier raid aérien a eu raison de la vie de six adolescents le 25 mars dans la région de Gao. L’ONU a appelé l’armée française à ouvrir sa propre enquête sur l’incident.
La réponse déjà faite par le gouvernement français aux dernières révélations met en évidence le caractère illusoire de l’appel de l’ONU. Pourtant, Paris ferait mieux de se plier aux demandes des Nations unies, après les manifestations de Maliens et les commentaires des membres du gouvernement demandant le départ de Barkhane du Mali. Le Niger et le Burkina Faso, quant à eux, négocient déjà avec les terroristes, qui commencent à apparaître comme des interlocuteurs évidents pour envisager la fin d’une guerre qui a déstabilisé l’ensemble de la région.
La France a lancé son intervention au Mali en 2014, après le renversement par Paris du régime de Kadhafi en Libye. Elle a maintenu une occupation permanente de 5 000 hommes, aux côtés de drones Reaper et de bombardiers. Sous prétexte de combattre le terrorisme dans la région, la France s’assure un contrôle d’une région riche en ressources et stratégiquement importante, qui comprend les approvisionnements en uranium utilisés pour la production d’énergie européenne.