Au Sahel, l’idée d’une « muraille verte » doit permettre de freiner l’avancée du désert. Sougueh Cheik, docteur en sciences de l’environnement à l’IRD, revient sur ce projet.
Zone particulièrement vulnérable aux évolutions climatiques, l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui confrontée à de nombreux défis, souvent interconnectés : sécurité alimentaire et hydrique, réduction de la dégradation des terres, gestion durable des ressources naturelles et des écosystèmes ou encore réduction de l’extrême pauvreté.
Ces enjeux risquent d’être exacerbés par l’augmentation constante de la population dans la région, qui devrait progresser de 1,4 milliard d’ici à 2030 et de 2,1 milliards d’ici à 2050.
Au cœur de l’Afrique subsaharienne s’étend cette vaste région tropicale aride et semi-aride qu’on appelle le Sahel, et qui traverse tous les pays bordant le sud du Sahara du Sénégal à Djibouti. Dans cette zone, les deux tiers de la population vivent de la production animale et végétale.
Sur le plan environnemental, la hausse des températures et la modification des régimes de précipitations tendent à y exacerber les aléas environnementaux, accélérer la désertification, compromettre la sécurité alimentaire et accroître la dégradation de la biodiversité et des services écosystémiques.
Depuis des décennies, les sécheresses récurrentes sont par conséquent devenues une urgence prioritaire dans la région. En Afrique, la désertification touche environ 45 % de la superficie, des zones humides aux zones arides et semi-arides, et concerne environ 485 millions de personnes.
La menace de la désertification au Sahel
Au Sahel, la pluviométrie annuelle moyenne varie de 200 mm au nord à 600 mm au sud. La saison des pluies est intense et dure environ quatre mois, avec des périodes sèches prolongées. La région est fortement dépendante de l’agriculture et du pastoralisme – principales activités économiques qui emploient 70 % de sa population active.
Or près de 95 % de l’agriculture en Afrique étant pluviale, la forte variabilité climatique et les faibles précipitations qui caractérisent la région la rendent particulièrement vulnérable.
À cette variabilité s’ajoutent des facteurs anthropiques tels que l’urbanisation, la surexploitation des sols, les feux de brousse et le surpâturage, avec des niveaux élevés de pauvreté, une croissance démographique rapide et des conflits dans de nombreuses régions du Sahel.
Ces défis multidimensionnels et interdépendants se heurtent à la faible capacité d’adaptation des systèmes socio-économiques. Au Sahel, on estime à 29,2 millions le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire, dont 9,4 millions sont susceptibles de connaître des déficits alimentaires extrêmes.
Pour toutes ces raisons, l’adaptation apparaît comme une priorité de la politique climatique en Afrique et diverses institutions de lutte contre la désertification et la sécheresse ont vu le jour.
Des progrès importants ont donc été réalisés en la matière au cours de la dernière décennie, notamment la mise en place de fonds d’adaptation par le biais de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, l’élaboration de programmes d’action nationaux et régionaux d’adaptation et l’intégration de cette dimension aux projets de développement. La Grande muraille verte en est un exemple emblématique.
Barrière verte contre l’avancée du désert
L’idée d’une barrière vivante pour résister à l’avancée perçue du désert du Sahara n’est pas nouvelle. Le concept de barrage vert avait été lancé en Algérie dans les années 1960 par l’ex-président Houari Boumédiène.
C’est lors du septième sommet des chefs d’État et de gouvernement de la communauté des États de la zone saharo-sahélienne du Circum-Sahara en 2005 à Ouagadougou (Burkina Faso), qu’a été proposée l’idée de la Grande muraille verte. Elle a pour objectif global de renforcer la résilience des populations et des systèmes naturels de la zone.
Lancée en 2007 sous l’égide de l’Union africaine et de l’agence panafricaine de la Grande muraille verte, l’initiative vise à stopper la désertification et la dégradation des terres dans la zone sahélienne et à améliorer les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles et des éleveurs de la région.
La première étape consiste en la plantation d’une bande forestière de 7000 km de long et 15 km de large composée d’un mélange d’espèces d’arbres indigènes qui traverserait le continent africain du Sénégal à Djibouti, le long de la limite sud du désert du Sahara (Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Éthiopie, Érythrée, Djibouti).
Restaurer 100 millions d’ha de terres dégradées
Conçue à l’origine comme une bande de végétation, le long de l’axe Dakar-Djibouti, elle s’étend désormais à plus de 20 pays d’Afrique y compris d’Afrique du Nord (nord du Sahara) et d’Afrique australe (pays de la communauté de développement d’Afrique Australe).
La stratégie vise à harmoniser les interventions avec d’autres démarches ambitieuses en cours dans la région, comme l’initiative de restauration des paysages forestiers africains AFR 100 ou le défi de Bonn qui entendait en 2011 restaurer 150 millions d’hectares de terres dégradées et déboisées avant 2020, et 350 millions d’hectares avant 2030.
En outre, la vision panafricaine est passée d’un simple projet de reforestation à une série d’interventions multisectorielles à l’échelle du paysage, visant à améliorer le bien-être social et écologique dans la région. Chaque pays membre a ainsi défini un ensemble d’espèces d’arbres indigènes pour le reboisement en se fondant sur leur adaptabilité à l’environnement et leur utilité pour les populations locales.
L’initiative de la Grande muraille Verte a réuni les pays africains et les partenaires internationaux dans un projet qui a pour ambition de restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées, de séquestrer 250 millions de tonnes de carbone et de créer dix millions d’emplois d’ici à 2030.
Sur les 100 millions d’hectares prévus pour 2030, 4 millions d’hectares ont été restaurés à ce jour. Bien que la Grande muraille ait été proposée comme une stratégie d’adaptation au changement climatique, elle pourrait également présenter des avantages en matière d’atténuation en séquestrant du carbone via des plantations à grande échelle.
Inclure les communautés dans le processus
Au regard de la complexité des défis, le succès d’une telle initiative est fortement tributaire d’une pacification de la région et d’une meilleure appropriation du projet par les communautés locales à travers une approche plus inclusive.
Par ailleurs, l’identification des zones propices au boisement et/ou aux pratiques agricoles reste un défi. Selon une étude récente, 43,5 % de la superficie du Sahel et 25,6 % de celle de la zone proposée pour la Grande muraille verte ne sont pas propices à une plantation durable. Il faudra donc combiner la plantation d’espèces d’arbres bien choisies avec d’autres formes d’utilisation des terres (cultures, pâturages, cueillette, etc.), ce qui nécessite un cadre foncier et juridique.
Il serait enfin important de mieux concilier les connaissances scientifiques et les savoirs traditionnels des populations locales pour trouver les meilleures solutions grâce à des approches participatives et novatrices de restauration de terres dégradées.
Sougueh Cheik, Docteur en sciences de l’environnement, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.