La France a « de lourdes responsabilités » dans le génocide rwandais de 1994. C’est ce qu’affirme un rapport rédigé par un groupe d’historiens français, qui écarte cependant la notion de « complicité ».
Une équipe d’historiens vient de publier les résultats d’une étude accablante sur les liens entre la France et le régime de Juvénal Habyarimana au Rwanda lors du génocide de 1994. Tout en cherchant à positionner la France comme un acteur affirmé sur la scène africaine, le président Emmanuel Macron s’est engagé à faire la lumière sur des aspects autrefois tabous de l’histoire de son pays en Afrique.
Et le rapport sur l’implication de la France au Rwanda n’est pas le premier du genre : un peu plus tôt, l’historien Benjamin Stora avait été chargé d’examiner les actions de la France pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie. L’historien français a appelé à la création d’une « commission vérité » et à d’autres actions de conciliation dans un rapport rendu en janvier dernier au président Macron. Emmanuel Macron a cependant exclu de faire des excuses officielles pour la torture et les autres abus commis par les troupes françaises en Algérie.
Le contenu du rapport sur le Rwanda est, de son côté, susceptible d’avoir une incidence majeure sur les relations futures entre la France et le Rwanda, où le président Macron se rendra dans les prochains mois.
Un soutien indéfectible au régime génocidaire hutu
La commission d’historiens chargée de s’intéresser au génocide rwandais a conclu à un « échec » de la part de la France, alors présidée par François Mitterrand. Lors de ce génocide, environ 800 000 personnes ont été massacrées, principalement des Tutsis.
L’historien Vincent Duclert, qui dirige la commission, a remis le rapport à l’Elysée. Selon le document, en substance, la France n’a pas assez œuvré en coulisse pour arrêter les massacres et le degré de sa complicité dans le génocide de 1994 reste encore à déterminer. Le génocide, qui a duré d’avril à juillet 1994, a débuté après que le président hutu du Rwanda, Juvénal Habyarimana, avec qui Paris entretenait des liens étroits, a été tué dans le crash de son avion, abattu au-dessus de Kigali le 6 avril.
Un quart de siècle plus tard, la question empoisonne toujours les relations entre la France et le Rwanda, alors que ce dernier pays est présidé par Paul Kagame, un ancien rebelle tutsi. « La France est-elle complice du génocide des Tutsis ? Si nous entendons par là une volonté de se joindre à une opération génocidaire, rien dans les archives qui ont été examinées ne le démontre », nuance le rapport.
Cependant, la France a longtemps été présente aux côtés d’un régime qui encourageait les massacres ethniques… Elle est restée, selon le rapport, « aveugle à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime ».
Le rapport de Duclert critique la position française sous Mitterrand, qui avait adopté une « vision binaire » qui faisait de Habyarimana un « allié hutu » contre un « ennemi » des forces tutsies soutenues par l’Ouganda. La France est militairement intervenue trop tard pour arrêter le génocide, précisent les historiens.
Une attitude française post-coloniale
Autre fait reproché à la France : l’aide des autorités de l’époque qui auraient aidé des suspects, accusés de participation au génocide rwandais, à échapper à la justice, grâce à une protection militaire française. Selon plusieurs analystes, l’opération Turquoise, lancée par la France pendant l’été 1994, visait en partie à soutenir le gouvernement génocidaire hutu.
Mitterrand et son entourage craignaient également que l’influence anglophone sur l’Afrique francophone n’augmente, notamment via l’Ouganda et le Front patriotique rwandais (FPR) de Kagame.
Le rapport parle des dirigeants français piégés dans une vision « post-coloniale », qui ont soutenu inconditionnellement un régime « raciste, corrompu et violent », celui d’Habyarimana, face à une rébellion tutsie considérée comme dirigée depuis l’Ouganda anglophone. François Mitterrand « a maintenu une relation forte, personnelle et directe avec le chef de l’Etat rwandais » Habyarimana, mentionne le rapport.
Le gouvernement de Kigali estime que le rapport français « représente une étape importante vers une compréhension commune du rôle de la France dans le génocide tutsi ». Le Rwanda a cependant accusé la France de complicité pendant plusieurs années. Le président Paul Kagame a souvent critiqué l’entrisme français en Afrique et plus particulièrement dans les affaires rwandaises.