Le président du Niger, Mahamadou Issoufou a remporté le prix Mo Ibrahim pour le leadership africain. Le 2 avril prochain, il laissera la place à Mohamed Bazoum, dont la victoire vient d’être validée par la Cour constitutionnelle. Sera-t-il à la hauteur de la stature de son prédécesseur ?
Début mars, le prix Mo Ibrahim 2020 pour le leadership exceptionnel était décerné à Mahamadou Issoufou. Une récompense qu’il doit à son bilan politique mais également à son respect de la Constitution. « Nous l’avons choisi parce qu’il remplit les critères. Il a été élu démocratiquement en 2011. Il a été réélu démocratiquement en 2016, et en 2020, il s’est retiré, conformément à la Constitution du Niger. Il nous a donné l’opportunité de vivre enfin, au Niger, après 60 ans, une transition démocratique », expliquait alors Aïcha Bah Diallo, membre du comité chargé de décerner le prix, également ancienne ministre de l’Education en Guinée.
Ce prix, comme la carrière en tant que président du Niger d’Issoufou, sont autant d’éléments qui placent une certaine pression sur son successeur, qui a d’ailleurs bien mal commencé sa prise de poste, avec une crise post-électorale. Si Mohamed Bazoum a été le bras doit d’Issoufou depuis la création de leur parti politique commun, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) en 1990, il est longtemps resté dans l’ombre du président, assumant la gestion du parti et le ministère de l’Intérieur au sein du gouvernement. D’ores et déjà, les défis qui l’attendent sont de taille. Il devra faire face à une menace terroriste qui fait rage sur deux fronts, ainsi qu’à une opposition qui estime qu’il n’est pas le vainqueur légitime des élections. Et ce, même si la Cour constitutionnelle vient de rendre son verdict.
Le lourd héritage de Mahamadou Issoufou
Bazoum devra également tenter de se faire un nom, après le dernier mandat d’Issoufou qui n’est pas loin du sans-faute. Parmi les réussites d’Issoufou, le fait tout d’abord de ne pas avoir voulu s’accrocher au pouvoir. Après ses deux mandats, le président nigérien a finalement raccroché. « J’ai fait mes 2 mandats… Je respecte la promesse que j’ai faite au peuple nigérien qui m’a fait l’honneur de le diriger », expliquait, début mars dernière, le président sortant à BBC.
Pourtant, avec un bilan extrêmement positif, le président du Niger aurait largement pu tenter de se présenter à sa propre succession, comme certains de ses homologues ont pu le faire en modifiant la Constitution.
Côté réalisations, Issoufou a multiplié les décisions lors de ses deux mandats. Le Niger souffrait énormément des sécheresses, de la pauvreté et des guerres civiles. Dès son arrivée au pouvoir, en 2011, le président a fait construire un barrage sur le fleuve Niger et lancé la construction d’un second en 2019.
Ces deux projets étaient vitaux pour l’économie nigérienne et la survie même des habitants. Résultat : l’agriculture a augmenté son apport au PIB du Niger de 11 % à 49 %. Une situation enviable dans une Afrique subsaharienne qui dépend de l’importation des produits alimentaires à hauteur de 35 milliards de dollars chaque année. Un chiffre qui devrait augmenter à 110 milliards en 2025.
Le président de la commission du prix Mo Ibrahim, Fetus Mogae, a salué les réalisations du président du Niger : « Le nombre de Nigériens vivant sous le seuil de pauvreté est tombé à 40 %, contre 48 % il y a dix ans. Bien que des défis demeurent, Issoufou a tenu ses promesses au peuple nigérien et a ouvert la voie d’un avenir meilleur », résume l’ancien président du Botswana.
Gratuité de l’éducation
Mahamadou Issoufou a aussi maintenu une croissance économique positive pendant six des dix années de ses deux mandats. Il a délivré des centaines de permis miniers et d’exploitation de pétrole en PPP, à des taux ne dépassant pas les 72 % des revenus. Un record en Afrique. Cette dynamique a aussi permis au Niger de renouer avec la diplomatie bafouée par les coups militaires successifs.
Un autre point important a été de consacrer 25 % des recette d’Etat à l’éducation, la rendant gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans. Le Niger a connu une progression de 7 % en taux d’alphabétisation.
Et puis, en point d’orgue, il y a forcément cette annonce de ne pas se présenter à un troisième mandat illégitime. Respecter la limite des mandats présidentiels n’est pas fréquent. Ce ne sont pas Alassane Ouattara ou Alpha Condé qui diront le contrait.
A ce bilan extrêmement positif, il faut trouver quelques faiblesse cependant : la gestion de la menace terroriste à l’ouest et plus récemment au nord-est du pays n’a pas été parfaite. S’y ajoutent la centralisation de l’urbanisation dans la capitale Niamey, ainsi que les défis économiques liés aux fluctuations des prix de l’uranium, l’exportation principale du Niger. Une ombre au bilan d’Issoufou, que ce dernier regrette.
Continuité ou décisions fortes ?
Les regrets d’Issoufou seront d’ailleurs les difficultés qu’aura à surmonter le président Mohamed Bazoum, à peine déclaré vainqueur par la Cour constitutionnelle. Membre d’une minorité ethnique arabe du Niger, il a été diffamé durant la course à la présidence par la campagne de Mahamane Ousmane. Ce dernier a aussi rejeté les résultats déclarés par la CENI. En plus de la menace extérieure, Bazoum devra composer avec une opposition redoutable.
En raison de ses origines, il devra faire face à des défis supplémentaires pour prouver son patriotisme, voire son nationalisme. Beaucoup de réfugiés affluent au Niger depuis des années, et les problèmes ethniques existent autant que la xénophobie subsiste.
Bazoum a été ministre des Affaires étrangères de 2011 à 2015 et a dirigé les ministères de l’Intérieur, de la Sécurité publique, de la Décentralisation, des Affaires coutumières et religieuses à différents moments, entre 2015 et 2020. Il a en théorie le CV parfait pour remédier à ces différents problèmes.
Cependant, le président élu manque de cadres expérimentés autour de lui, qui devront jouer le rôle que Bazoum a lui-même joué pour Issoufou. Le futur président a intégré beaucoup de jeunes et de personnes dynamiques dans son équipe. Mais l’expérience ne risque-t-elle pas de faire défaut ?
Néanmoins, le président du Niger, en proie à une menace terroriste sur deux fronts principaux et en manque d’unité nationale à cause des évènements post-élection, n’aura pas le temps de tergiverser. Bazoum peut compter sur les soutiens étrangers, ce qui le place entre l’enclume d’un peuple habitué à vivre de façon indépendante et le marteau des alliés qui se sont montrés incapables de défaire les organisations terroristes qui menacent le Niger : Boko Haram, l’Eigs et Aqmi.
Mohamed Bazoum a des atouts, que même Issoufou n’avait pas : sa rhétorique, la maitrise, toute relative, de son parti politique, l’image de la continuité de l’Etat et de nouveaux alliés potentiels au nord, avec la Libye qui réussit sa transition politique doucement mais sûrement. Reste à savoir s’il prendra des décisions courageuses ou s’il restera sur les acquis de son prédécesseur.