En Tunisie, le gouvernement continue de négocier avec le FMI un prêt de 4 milliards de dollars. Mais les réformes envisagées ne plaisent pas au syndicat de l’UGTT, qui a annoncé une grève générale.
En Tunisie, la morosité est devenue le sentiment ambiant. Mais c’est avant tout la situation économique qui inquiète jusqu’aux populations. Le 16 juin prochain, le mécontentement devrait atteindre son paroxysme, avec une grève générale sera organisée par le plus puissant syndicat du pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Un mouvement social qui intervient en pleine crise politique : depuis la semaine dernière, le pouvoir judiciaire est au point mort, à la suite du lancement d’une grève des juges, après le limogeage d’une soixantaine de leurs collègues par décret présidentiel.
A un mois et demi du référendum sur la Constitution, prévu le 25 juillet prochain, et un an après la prise des pleins pouvoirs par le président Kaïs Saïed, la Tunisie est plus que jamais fragilisée.
Sur fond de crise globale, des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), qui durent depuis l’année dernière, ont lieu. Pour l’Etat tunisien, il s’agissait initialement de restructurer la dette souveraine, qui pèse lourdement sur les recettes de l’Etat. Mais depuis octobre dernier, en l’absence d’aides des alliés internationaux de la Tunisie, le pays a besoin d’un prêt substantiel de toute urgence, pour répondre à des impératifs financiers.
Malgré les relations houleuses entre la présidence tunisienne et la communauté internationale, le gouvernement tunisien espère toujours s’entendre avec le FMI. Les voyages des dirigeants tunisiens à Washington, Dubaï, Paris, Bruxelles, Sofia ou encore Berne se sont multipliés ces derniers mois. Avec un objectif : convaincre le FMI de la crédibilité du programme de réformes engagé par Kaïs Saïed. Une condition sine qua non pour obtenir des fonds de la part de l’institution de Bretton Woods.
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Le jargon du FMI pour les nuls
Du côté du FMI, habitué à dicter, sans se cacher, les contours des réformes, on conditionne le prêt de 4 milliards de dollars à la mise en place de plusieurs mesures. Lors de sa dernière déclaration publique, le bureau du FMI en Tunisie a appelé à « un programme qui vise à créer de l’espace budgétaire afin de financer des projets d’investissement public et d’augmenter l’enveloppe des dépenses sociales ».
Comment aider les dépenses sociales ? Selon le FMI, cela passera forcément par la « réduction consciencieuse du déficit budgétaire à travers une fiscalité équitable », par une « stricte maîtrise de la masse salariale », par un « meilleur ciblage des subventions » et par « une réforme profonde des entreprises publiques ». Inutile de lire entre les lignes, car si le FMI n’explique pas son jargon, le gouvernement tunisien, lui, a déjà dévoilé son nouveau plan de réforme taillé sur mesure.
Au programme, de potentielles privatisations d’entreprises publiques, la réduction de toutes les subventions — voire leur annulation — et une baisse de 5 % de la masse salariale de l’Etat en trois ans… Une réforme loin de correspondre à l’ADN du président Kaïs Saïed mais indispensable pour satisfaire le FMI…
Il était plus que prévisible que l’UGTT n’adouberait pas ces mesures. Un couac qui pose problème : car pour que le FMI accorde son prêt à la Tunisie, il avait, en mars dernier, exigé la « cosignature des partenaires sociaux », en l’occurrence la très puissante UGTT.
Or, le syndicat tunisien a annoncé, samedi dernier, qu’il ne signerait pas la proposition du gouvernement. L’UGTT partira donc en grève générale à partir du jeudi prochain.
La Tunisie entre le marteau de l’Etat et l’enclume de l’UGTT
Le secrétaire général du syndicat, Noureddine Taboubi, a rencontré ce lundi une délégation du gouvernement au siège de la primature, dans la capitale Tunis. Toutefois, le gouvernement tunisien, sous la pression du FMI, ne sera a priori pas enclin à faire des concessions.
Le ministre de l’Emploi et porte-parole du gouvernement, Nasreddine Nsibi, a assuré que l’Etat tunisien n’avait aucune autre alternative pour obtenir ces « fonds d’urgence ». Il a notamment rappelé que la Tunisie était aux portes du défaut de paiement. Le ministre de l’Economie, Samir Saïed, a quant à lui montré tout son agacement vis-à-vis de la position de l’UGTT. « Où trouverez-vous des fonds pour l’Etat ? Avec notre dernière notation souveraine, il est impossible pour la Tunisie d’emprunter », a simplement prévenu le ministre.
Reste que l’UGTT estime que plusieurs réformes dans le projet du gouvernement sont « une ligne rouge » à ne pas dépasser. Lors d’un récent meeting du syndicat, Tabboubi a également mis en garde contre toute tentative du pouvoir, selon lui, d’impliquer les militaires dans la répression des manifestations qui accompagneront la grève qui débute cette semaine. « Je mets en garde contre ce genre de pratiques. Nous ne sommes pas des putschistes ! », a averti le syndicaliste devant une large foule, samedi dernier.
Nul doute que, d’un autre côté, l’UGTT souffre également d’une crise de crédibilité auprès des populations tunisiennes, surtout en comparaison avec le président Kaïs Saïed, encore relativement populaire. Mais s’il existe une partie tunisienne encore capable de mobiliser des manifestants, c’est bien l’UGTT. Reste que, avec la tendance autoritaire croissante de l’Etat tunisien de ces derniers mois, la tension est palpable et le risque d’émeutes est crédible.