Le réalisateur Souleymane Cissé, né au Mali et qui a grandi à Dakar, recevra le Carrosse d’Or, qui récompense les pionniers du cinéma, lors du Festival de Cannes le 17 mai.
Souleymane Cissé est largement reconnu comme l’un des plus grands cinéastes africains de tous les temps, et le festival de Cannes, le plus prestigieux au monde, partage cet avis. Le réalisateur d’origine malienne a été désigné lauréat du Carrosse d’Or 2023. David Murphy, critique et spécialiste du cinéma africain et de l’œuvre de Cissé, nous a expliqué pourquoi ses films sont si importants, en particulier son classique Yeelen.
Qui est Souleymane Cissé ?
Cissé est un célèbre réalisateur malien qui fait des films depuis le début des années 1970. Il est né à Bamako en 1940, mais son enfance s’est déroulée à Dakar, au Sénégal, alors colonie voisine de l’empire français d’Afrique de l’Ouest. Son père s’y était installé pour son travail avant de revenir au Mali après l’indépendance en 1960. C’est à Dakar qu’il se passionne pour le cinéma et, de 1963 à 1969, il suit une formation de réalisateur à Moscou, en Russie, sous la supervision du grand réalisateur soviétique Mark Donskoy (auprès duquel le légendaire cinéaste sénégalais Ousmane Sembène avait étudié quelques années plus tôt).
Cissé n’a réalisé que neuf films en 50 ans (et seulement trois depuis le début de ce siècle). Il faut dire qu’il n’a jamais été facile de faire carrière en tant que réalisateur en Afrique (du moins en dehors de l’industrie vidéo nigériane Nollywood).
La réputation de Cissé repose en grande partie sur la qualité des quatre films qu’il a réalisés au cours de la période la plus prolifique de sa carrière, entre 1975 et 1987, et qui ont culminé avec la sortie de Yeelen (La lumière), qui a remporté le Prix du jury au Festival de Cannes en 1987. C’était le premier film africain à recevoir une telle reconnaissance par la critique lors d’un festival réputé pour sa célébration des nouvelles orientations pionnières de la création cinématographique.
Quelle est sa place dans l’histoire du cinéma africain ?
Yeelen a été salué non seulement par la critique comme un moment charnière du cinéma africain sur la scène internationale mais aussi comme l’incarnation d’une nouvelle forme de pratique cinématographique africaine ancrée dans les traditions narratives orales et la spiritualité de l’Afrique de l’Ouest.
Film magnifiquement réalisé, Yeelen raconte une histoire mythique et hautement symbolique qui oppose un fils rebelle à son père tyrannique. Le film se déroule à un moment indéterminé de l’Afrique précoloniale.
Ce nouveau style cinématographique s’opposait au réalisme social que de nombreux critiques considéraient comme la caractéristique principale du cinéma francophone d’Afrique de l’Ouest dans les années 1960 et 1970. (Les films de Sembène sont généralement cités comme les exemples les plus aboutis de ce type de travail). Cissé lui-même avait été salué pour le réalisme social et politiquement engagé de ses premiers films, le Den Muso (La jeune fille) de 1975 et le Baara (Le travail) de 1978.
Avec Yeelen, il est désormais dépeint par de nombreux critiques comme un réalisateur qui a fait la “transition” du réalisme social à une forme de cinéma plus symbolique, plus mystique et par conséquent plus “authentiquement” africaine.
Yeelen est souvent cité aux côtés d’autres films qui représentent une Afrique rurale épargnée par la présence coloniale occidentale, en particulier Wend Kuuni (1982) et Yaaba (1989) des réalisateurs burkinabGaston Kaboré et Idrissa Ouédraogo.
Ces films ont commencé à être classés par certains critiques comme des films qui rejetaient la modernité et les principes socialistes des décennies qui ont suivi l’indépendance. Ils sont considérés comme ayant tourné le dos aux idées et à l’esthétique occidentales et cherché l’inspiration dans une Afrique authentique, rurale et précoloniale.
En tant que critique de cinéma, je n’ai jamais vraiment accepté les diverses prémices qui sous-tendent ces arguments.
Quel est donc votre point de vue sur cette histoire ?
Tout d’abord, le réalisme social n’a jamais été la seule esthétique dominante des années 1960 et 1970. En fait, ce n’était même pas l’esthétique dominante de l’œuvre de Sembène, à laquelle elle a été le plus étroitement associée par les critiques. Deuxièmement, bien que chacun des premiers films de Cissé – Den Muso, Baara et Finyé (Wind) – puisse en partie être situé dans un registre naturaliste et réaliste, ils présentent tous des séquences symboliques complexes et assez opaques.
Cissé expose ses convictions artistiques dans le magnifique documentaire de 1991 du réalisateur cambodgien Rithy Panh, Souleymane Cissé. Il décrit l’inspiration de ses films comme un processus presque onirique et visionnaire, mais fermement ancré dans la réalité. Dans Finyé, c’est l’eau et le vent qui jouent ce rôle symbolique dans ce qui reste un film très politique qui dénonce la dictature militaire.
Je n’ai jamais été convaincu par l’idée qu’un mode de narration cinématographique ou un type de récit spécifique (rural par opposition à urbain, par exemple) puisse puiser dans une identité ou une culture africaine “authentique”.
Mais je comprends parfaitement pourquoi la quête d’authenticité a émergé dans les années 1980. Les rêves d’indépendance s’étaient transformés en cauchemars néocoloniaux dans une grande partie du continent. Les réalisateurs souhaitaient clairement exprimer des éléments de la vie africaine qui n’étaient pas considérés comme redevables à la culture des anciennes puissances coloniales.
Pourquoi ce prix est-il important ?
Ce prix est décerné par l’Association française des réalisateurs pour récompenser un cinéaste pour les qualités pionnières de son œuvre et l’audace de sa vision cinématographique. Parmi les précédents lauréats figurent de célèbres réalisateurs occidentaux, dont Martin Scorecese et Jane Campion, mais aussi le héros cinématographique de Cissé, Sembène.
Il s’agit d’une récompense importante et méritée. La créativité de Cissé a peut-être diminué au cours de ses dernières années, mais l’attribution du Carrosse d’Or célèbre à juste titre un réalisateur qui, pendant une grande partie des années 1970 et 1980, a été l’un des cinéastes les plus inventifs, non seulement en Afrique, mais dans le monde entier. Espérons que ce prix incitera davantage de cinéphiles à découvrir ses films classiques.
David Murphy, Professeur d’études françaises et postcoloniales, University of Strathclyde
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.