La cérémonie de retour de la dépouille de Patrice Lumumba, prévue pour ce 17 janvier — date anniversaire de son assassinat — a été retardée pour la seconde fois. La raison officielle de ce report peine à convaincre, la famille du défunt héros accusant Tshisekedi d’exploiter politiquement un évènement solennel.
L’événement en rappelle un autre. Alors qu’il voulait rapatrier la dépouille de son propre père, Etienne Tshisekedi, en République démocratique du Congo (RDC), le président tout fraîchement élu Félix Tshisekedi n’avait eu besoin que de cinq mois.
Tshisekedi avait mis fin à un bras de fer entre Bruxelles et Kinshasa, qui n’aura duré que deux ans, pour que le « Sphinx de Limete » soit enfin enterré en terre congolaise. A l’époque, la presse et l’opposition déploraient les coûts élevés de la cérémonie, mais surtout son exploitation politique par le fils Tshisekedi.
Une autre histoire de rapatriement de dépouille agite la presse. Cette fois, il s’agit de celle du héros panafricain Patrice Lumumba. La Belgique multiplie les humiliations, estime la famille de cette figure historique, depuis plus de soixante ans déjà. Et si l’on pensait que le président Tshisekedi adopterait une position plus ferme vis-à-vis de l’ancien colonisateur, c’est tout le contraire qui se passe.
En effet, si le retour de la dépouille de Lumumba était prévu pour le 30 juin 2021, date du 61e anniversaire de l’indépendance du pays, les restes du corps du héros sont toujours sous garde belge. Une cérémonie a finalement été programmée pour le 17 janvier 2022, avec le roi belge Philippe, le Premier ministre Alexander De Croo et Félix Tshisekedi.
Toutefois, à deux semaines de cette date, Tshisekedi a annoncé unilatéralement un autre report, cette fois pour le mois de juin prochain. Raison officielle : la propagation de la Covid-19 en RDC. Une raison qui étonne.
Guy-Patrice Lumumba charge Tshisekedi
Pour le fils de Lumumba, Guy-Patrice, Tshisekedi chercherait à « exploiter le rapatriement de la dépouille de Patrice Lumumba à des fins politiques ».
Le report récent de la réception de la dépouille de Lumumba ne serait-il pas un simple délai qui permettrait à Félix Tshisekedi de sortir grandi de cet événement ? Le président de la RDC cherche à redorer son propre blason, alors qu’il vient de sortir par la petite porte de la présidence de l’Union africaine (UA) et dans un climat tendu à cause de ses efforts excessifs pour contrôler la Commission électorale (CENI) à l’approche de l’élection de 2023 en RDC.
Tshisekedi, on le sait, aime par-dessus tout les cérémonies. Surnommé « le président voyageur » par ses militants et « le pigeon voyageur » par ses opposants, Félix Tshisekedi a passé le gros de son mandat à l’étranger pour des visites diplomatiques qui n’ont pas toujours été utiles. Poursuivre les négociations avec la Belgique lui permettrait donc de voyager encore et toujours.
Et après ?
Selon la fille de Patrice Lumumba, Juliana, le rapatriement de la dépouille de son père ne devrait de toute façon pas réconcilier la RDC et la Belgique, en ce qui concerne les crimes de l’ère coloniale. Et à la tête de tous ces crimes, l’assassinat de Lumumba, puis le traitement cruel infligé à sa dépouille.
Pour rappel, Patrice Lumumba a été tué par les autorités belges et leurs soutiens séparatistes katangais le 17 janvier 1961. Deux jours plus tard, Gérard Soete, commissaire de police belge du Katanga, en compagnie de son frère, ont exhumé le corps et l’ont dissout dans l’acide sulfurique pour éradiquer toute preuve physique du crime. Le but : empêcher la mobilisation que l’identification de la carcasse de Lumumba pourrait inspirer. Mais Soete a gardé des dents de Lumumba comme trophée à montrer à ses amis lors des dîners mondains.
Après la mort de Soete, sa fille Godelieve a perpétré la tradition de son père. Une tradition de plus de cinquante ans qui a culminé en une horrible interview en 2016 au cours de laquelle le journaliste a pu voir les restes de Lumumba dans le salon de Godelieve Soete. La police belge est intervenue, et après cinq ans d’audiences, un tribunal a décidé en septembre 2020 que les restes de Lumumba seraient renvoyés à sa famille.
Tshisekedi et un acte très intéressé
Alors que les enfants de Lumumba attendent impatiemment que la dépouille de leur père soit traitée avec le respect qui lui est dû, et que l’opinion publique dénonçait l’hésitation de la Belgique, nul ne se doutait de la complicité de Kinshasa dans ce retard.
Mais les autorités congolaises respectent-elles vraiment la famille de Lumumba ? Car, au-delà de l’horrible assassinat de Patrice Lumumba, il faudrait également respecter la mémoire de sa veuve, qui a lutté entre 1961 et jusqu’à sa mort en 2014 pour que la vérité éclate enfin.
Pauline Lumumba avait forcé l’ONU à présenter ses excuses pour sa passivité devant un assassinat qui impliquait notamment les Etats-Unis et la Belgique. Elle avait dirigé les marches à travers le monde pour exprimer la colère des peuples africains face à l’assassinat d’une icône du panafricanisme. Et des dizaines de militants pour les droits des Noirs arboraient le portrait de Pauline Lumumba dans les marches pour les droits civils aux Etats-Unis, saluant notamment son courage.
Le prestige de Patrice Lumumba et des membres de sa famille, Tshisekedi rêverait d’en partager les bénéfices. L’héritage de Lumumba dilapidé, la RDC est aujourd’hui un pays extrêmement corrompu, pauvre et peu regardant sur les droits humains, même à l’échelle africaine. Et pendant ce temps, le président cherche à se mettre en avant.