Des centaines de groupes armés sèment le chaos en RDC et se financent par l’exploitation des mines. Ils utilisent des femmes et des enfants comme main-d’œuvre bon marché, au péril de leur santé.
À l’abri des regards, en République démocratique du Congo, des femmes, parfois enceintes, et des enfants, travaillent dans des mines « informelles », dans des conditions dangereuses, inhalant des produits toxiques, pour des salaires de misère.
Pourtant, au moment de son indépendance en 1960, les secteurs minier et agricole faisaient de la République démocratique du Congo (RDC) « le deuxième pays industrialisé d’Afrique ».
Soixante et un an plus tard, ses ressources naturelles sont exploitées en grande partie artisanalement et anarchiquement, et au moins 80 % de la population vit dans la pauvreté absolue. Ces richesses mettent en évidence des défis structurels majeurs et exacerbent les conflits et les inégalités sociales.
Je suis chercheur affilié au Centre for Human Rights and Legal Pluralism de l’Université McGill. Mes travaux portent sur le lien entre les ressources naturelles et l’activisme des groupes armés en RDC. Dans une précédente publication dans La Conversation Canada, j’ai expliqué les motivations et les sources de financement de la centaine des groupes armés qui sèment le chaos à l’est de la RDC. Cette fois, je veux mettre en lumière la situation des femmes et des enfants qui participent à l’extraction de l’or, qui est un de moyens que ces groupes armés utilisent pour financer leurs activités.
Une législation innovante
En 2018, la RDC a profondément modifié son code et son règlement miniers pour, entre autres, bonifier l’encadrement des exploitants artisanaux, améliorer les droits de la personne et assurer les meilleures conditions de travail dans les sites miniers.
Alignée sur les normes internationales pour assurer la traçabilité et la certification des minerais, la nouvelle législation minière interdit le travail des femmes enceintes et des enfants dans les mines.
L’obligation des exploitants miniers de restaurer le milieu après extraction, la diminution de la période de stabilisation fiscale de dix à cinq ans et l’annulation des anciennes conventions minières sont également prévues, si bien que toutes les entreprises minières sont désormais soumises au code minier.
40 kg sur les dos des femmes enceintes
Mais dans la réalité, sur le terrain, les conditions de travail dans les sites miniers demeurent préoccupantes. La présence de nombreuses femmes, parfois enceintes, ainsi que d’enfants à la recherche des minerais est remarquable dans les sites miniers du Sud-Kivu, notamment. Cette main-d’œuvre est appréciée par les exploitants miniers parce qu’elle est peu coûteuse. Mais ces femmes et ces enfants mettent leur vie et leur santé en péril.
Les femmes préparent la nourriture pour les creuseurs, transportent les bagages, puisent l’eau, pilent les pierres (quartz), lavent le sable. De nombreuses, parmi elles, s’adonnent à la prostitution.
Elles reçoivent un dollar américain pour un sac de 40 kg transporté sur leur dos, sur une distance de près de quatre kilomètres. La même somme est payée pour une bassine d’environ 10 Kilos de quartz pilés. Les gérantes des restaurants ou des bistros — y compris celles qui sont commises au lavage des minerais — sont en grande partie autonomes, mais non exemptes d’abus sexuels.
Leurs fonds ne suffisent pas à démarrer une activité commerciale et à prospérer. Dans les carrés de Kamituga/Mwenga, notamment dans les sites Calvaire et Nero chanda, l’eau utilisée pour le lavage du sable est réputée polluée de mercure. Ce dernier permet d’extraire rapidement l’or de l’amalgame après le chauffage. Certaines femmes travaillent à perte, car une vaste somme de déchets lavés ne contient pas d’or.
Contaminées au mercure
Les travaux dirigés par Donna Mergler, au Canada, en avril 2020, permettent d’affirmer que l’empoisonnement au mercure tue silencieusement les femmes et l’ensemble de la communauté.
Le sol, les rivières y compris les poissons pêchés localement (à Kamituga et dans d’autres zones minières au Sud-Kivu) sont intoxiqués. Plusieurs femmes et filles souffrent de douleurs lombaires et d’infections vaginales chroniques. Elles avortent ou mettent au monde des enfants avec des malformations. D’autres ne sont pas alitées, mais elles souffrent des symptômes liés à ce produit, notamment des problèmes neurologiques, de motricité ou encore d’apprentissage.
Les femmes et les filles qui pilent les quartz sont soumises au contrôle systématique à la fin de leur journée de travail, des pratiques qui incluent le toucher vaginal et annal. Elles ont également des problèmes pulmonaires et oculaires associés à l’absence de matériel de protection contre les impacts, et la poussière. Appelées « creuseuses sans bêche », les travailleuses du sexe reçoivent des miettes d’or — poussière d’une valeur de 5 à 10 dollars USD — en échange de leurs services.
Le gain gagné est en grande partie dépensé pour la survie, ou pour l’alcool, la drogue et le maquillage. Elles sont à risque d’avortements, de grossesses non désirées et d’infections sexuellement transmissibles, dont le VIH/sida.
Des esclaves ignorées
Les communautés et particulièrement les femmes et les filles sont pour la plupart inconscientes des risques qu’elles encourent, mais surtout, elles n’ont pas d’autres choix pour survivre.
Ce sont des personnes vulnérables, des déplacées qui ont abandonné leur milieu de vie en raison de l’insécurité. D’autres ont été expulsées de leurs zones par des instances gouvernementales à la demande des exploitants industriels. Il y a également les filles qui tombent enceintes précocement, les femmes rejetées après avoir été violées par des inconnus, les anciens enfants soldats et les orphelins.
Selon le récent rapport des experts des Nations-Unies sur le Congo, les groupes armés y compris leurs dépendants et certains militaires du gouvernement exploitent illicitement des ressources naturelles, notamment l’or et le coltan, dans les zones des conflits. La ruée vers ces richesses est actuellement l’une des raisons de la « guerre par rébellions interposées entre le Rwanda et le Burundi » dans les moyens et hauts plateaux d’Uvira, Mwenga et Fizi au Sud-Kivu.
Des indicateurs catastrophiques
En RDC, 41 % des femmes sont analphabètes et occupent des emplois non rémunérés. Plus de 7 millions d’enfants et d’adolescents n’étudient pas et il y a près de 50 ans que le taux brut de scolarisation pour le secondaire stagne autour de 20 %.
Plusieurs adolescents et adolescentes ont des charges énormes, même si la loi interdit à toute personne âgée de moins de 18 ans de travailler. Plusieurs sont déjà parents. Seulement 9 % des Congolais recourent à la contraception pour éviter ou limiter les naissances, l’accès aux contraceptifs est compliqué pour les célibataires et l’autorisation du mari est requise pour les femmes mariées.
Un État défaillant
Le besoin de se nourrir et de supporter leurs dépendants pousse donc les plus vulnérables à rejoindre les sites miniers ou les groupes armés actifs dans la zone. Aucune loi ne détermine à quelle période de la grossesse la femme ne peut travailler dans un site minier. Elle est notamment muette sur la possibilité d’exiger le test de grossesse pour recruter une femme dans un site minier.
Certaines femmes enceintes camouflent leur état. D’autres recourent à des compromis (corruption, avances sexuelles, retenue de la rémunération, corvée) et parviennent à travailler jusqu’à l’accouchement, sans carte de creuseur. Les visites des sites miniers prévues par la loi sont quasi absentes.
Les quelques inspecteurs formés par l’Organisation mondiale de migration sont insuffisants et n’ont pas des ressources nécessaires pour couvrir tous les chantiers miniers.
Il est évident que l’exploitation artisanale des ressources naturelles de la RDC a des incidences négatives sur la sécurité et les droits fondamentaux de la personne, particulièrement des femmes et des enfants. Les coutumes, les lois, la défaillance du secteur éducatif et de l’autorité de l’État congolais en sont les principales causes. Les groupes armés et la crise sanitaire due à la Covid-19 exacerbent la situation.
Les réformes législatives en vigueur ne sont pas réellement mises en application. Elles ne permettent pas aux personnes vulnérables de s’affranchir de la servilité dans les sites miniers.
Valentin Migabo, chercheur, McGill University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.