Pékin postule au secrétariat général adjoint aux opérations de paix à l’ONU. Pré-carré de la France depuis 24 ans, ce poste stratégique pourrait revenir à la Chine.
Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint aux opérations de paix au sein du Département des opérations de paix (DPO) de l’ONU, et la France ont-ils du souci à se faire avec les ambitions chinoises ? Depuis 1997, Paris occupe ce poste stratégique, après les mandats ghanéen et britannique à la naissance du département en 1992. Stratégique, car avec un budget de plus de 7 milliards de dollars annuels et 80 000 soldats et policiers, le DPO est un véritable outil diplomatique. Mais Pékin pourrait faire de l’ombre à la France. En effet, la Chine se verrait bien rafler le secrétariat général adjoint à Paris.
Selon Africa Intelligence, la Chine a débuté, au début de l’été, une large opération de lobbying. Pékin vise des postes plus importants aux Nations unies. Et le Département des opérations de paix semble être la porte d’entrée idéale pour la Chine qui, bien qu’elle avait pris ses distances avec les institutions internationales, a été l’un des principaux pourvoyeurs de soldats et de fonds en termes d’opérations onusiennes de maintien de la paix (OMP).
« Entre 1990, date à laquelle elle commença à envoyer des troupes dans le cadre des OMP, et 2015, la Chine est passée du rang de 40e contributeur de troupes sur 46 pays, à celui de 9e contributeur sur 124 pays », rappelle Juliette Genevaz, politiste spécialiste de la Chine. Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, Pékin est devenu un acteur incontournable des opérations de maintien de la paix.
Une contribution accrue aux opérations de maintien de la paix
Si la Chine contribue à financer et fournir des soldats lors des OMP, cela entre dans une stratégie plus globale de soutien aux pays du Sud. « On observe une corrélation frappante, à moyen voire long terme, entre l’engagement accru de la Chine dans les OMP et sa politique d’aide au développement », poursuit Juliette Genevaz, qui rappelle que « sept des dix OMP auxquelles participe la Chine sont en Afrique, et la plus grande part de l’aide au développement chinoise (45 %) est également destinée à ce continent ».
Prendre la tête du Département des opérations de paix de l’ONU n’aurait donc rien d’illogique pour Pékin. Mais si la Chine chipait la place de Paris, qui a fait du DPO son pré-carré, ce serait un changement de paradigme assez inédit : contrairement à la France, « la politique de maintien de la paix de l’ONU a permis à la Chine de promouvoir le principe fondamental du gouvernement du PCC (Parti communiste chinois) : l’inviolabilité de la souveraineté nationale ».
En septembre 2017, Jean-Pierre Lacroix était sans doute loin d’imaginer qu’il risquait d’être le dernier secrétaire général adjoint aux opérations de paix français. Il se disait alors, lors des opérations onusiennes au Soudan, « impressionné par la qualité du contingent chinois, par son personnel qualifié et par son équipement de qualité ».
La Chine compte sur ses soutiens africains
Quatre ans plus tard, Pékin pourrait donc enfin arriver à ses fins et bousculer Paris. Voilà trois ans que Huang Xia a été formaté pour prendre les rênes du DPO. Actuel envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la région des Grands Lacs, Huang Xia connaît bien l’Afrique : Il a travaillé en tant qu’ambassadeur de la Chine au Niger, au Sénégal, et en République du Congo. Huang Xia a également été le premier haut-fonctionnaire chinois à occuper un poste d’envoyé spécial à l’ONU.
Pour arriver à ses fins, Pékin a missionné son ambassadeur auprès des Nations unies, Zhang Jun. Grâce à une politique africaine rondement menée, la Chine espère obtenir le secrétariat général malgré les risques de blocage des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Du côté de Paris, la menace chinoise effraie jusqu’à l’Elysée : perdant de plus en plus de terrain en Afrique, la France ne peut se permettre de perdre un poste-clé au sein de l’ONU.
Pourtant, l’implication de la Chine au sein du Département des opérations de paix des Nations unies, bien loin devant Paris, suffit à se dire qu’un turnover pourrait avoir lieu. Pour Juliette Genevaz, « la politique de Pékin d’intervention pour le maintien de la paix internationale est cohérente avec sa politique étrangère, celle d’une présence extensive globale, sans stratégie particulière, ou même condition d’efficacité. Elle s’est élargie en même temps que sa politique d’aide au développement, elle aussi protéiforme ».