Le roi du Maroc, Mohammed VI, entretient une image de monarque influent sur la scène politique, sociale, mais également religieuse. « Le commandeur des croyants » a tissé, au fil des années, son pouvoir religieux.
Les institutions religieuses contrôlées par le roi du Maroc, Mohammed VI, sont nombreuses. Elles dirigent l’interprétation des textes, la diffusion du Coran, les études théologiques — psalmodie et exégèse compris —, mais également l’influence politique de la religion.
En 2004, l’essayiste Bernard Cubertafond avait rédigé un livre intitulé « Mohammed VI, Commandeur des croyants au secours de la laïcité ». Il y évoquait le contrôle du monarque marocain sur la pratique religieuse dans le royaume. Il s’agissait alors, peu de temps après les attentats terroristes à Casablanca, d’expliquer comment Mohammed VI avait maitrisé la situation à coup de législation et d’interprétations des textes religieux.
Une lecture simpliste ? Probablement, mais une lecture dans l’ère du temps, surtout. L’écrivain comparait alors la réforme religieuse marocaine à la loi française sur le foulard. Mais ce que Cubertafond a découvert en observant les réformes religieuses de Mohammed VI à travers un prisme occidental, c’est leur volet socio-politique. Car, au Maroc, le débat n’a jamais été religieux, mais plutôt social du côté des populations, et politique du côté de la monarchie.
Dix-huit ans plus tard, c’est notamment, et surtout, par le biais des institutions religieuses, que Mohammed VI, souvent accusé d’absentéisme, garde ce lien inébranlable qui confirme sa suprématie sur le quotidien des Marocains.
Comment réformer une religion ? La solution marocaine
Les réformes religieuses de Mohammed VI ont été nombreuses. Il s’agissait, dans les années 2000, de réactiver la tutelle du ministère des Habous et des Affaires islamiques sur les imams. Une tutelle en bonne et due forme sur la formation des prédicateurs, l’interprétation des textes et la séparation du religieux et du politique.
En quelque sorte, Mohammed VI a établi une forme d’anglicanisme marocain de l’islam. A court terme, il voulait normaliser la religion afin d’éviter au Maroc l’amalgame entre islam et terrorisme qui avait provoqué la décennie noire en Algérie, et la propagation du fondamentalisme dans les autres pays arabo-musulmans.
Vinrent ensuite les institutions affiliées au ministère de tutelle : d’abord le nouveau Conseil supérieur des Oulémas en 2009. « Nous attendons qu’ils puissent, avec l’aide et l’appui de Dieu, et avec l’efficience et la constance escomptées, mener à bonne fin la mission que nous leur avons confiée en matière de prêche, celle de la sensibilisation et de l’orientation », déclarait alors le roi marocain.
Ensuite, cela laissa place à la « réorganisation » de Dar Al-Hadith Al-Hassania pour les études islamiques, en la soumettant au nouvel Institut Mohammed VI de Formation des imams Morchidines et Morchidates. Le format masculin et féminin dans la description des imams était délibéré, et il s’agissait surtout de renforcer le courant soufi. Pour Mohammed VI, inclure la moitié du peuple — les femmes — dans la hiérarchie religieuse a été un acte important, en 2019, au moment de relancer les confréries soufies de la Qadiriyya et de la Tijaniyya. Mais afin de se distinguer du Sénégal ou de l’Algérie, la formation des prédicateurs concernait aussi les femmes.
Mohammed VI, Commandeur des croyants : un storytelling bien ficelé
Après la mise en place de ces institutions, dotées d’un financement colossal, dépassant celui de leur ministère de tutelle et émanant directement du Trésor royal, le royaume se lança dans une grande opération de marketing. Depuis 2004, la radio Mohammed VI du Saint Coran diffuse des émissions religieuses 24 heures sur 24. Et avec 15 % de parts de marché, c’est de loin la radio la plus écoutée au Maroc. Ce média demeure, au Maroc, le plus fréquenté par les populations, loin devant la télévision et les médias sociaux.
Ensuite, l’hégémonie de cet « islam marocain » devait s’internationaliser. Ainsi donc, la Fondation Mohammed VI des Ouléma Africains est née en 2017. On compte plus de 1 500 imams de toute l’Afrique obtenant des bourses d’études au Maroc, logés, nourris et blanchis par la fondation. Parmi ces derniers, une centaine de femmes. Tout ce petit monde fait ses études dans les universités marocaines, où il leur est bien précisé que l’« islam marocain » est la voie du salut.
Toutes ces mesures, imputées soigneusement au roi du Maroc, seraient selon les médias marocains « la preuve concrète qu’aux côtés de la modernisation du Royaume, le Roi a également veillé à réserver dans sa vision du Maroc de demain, une place fondamentale à la religion, pour préserver et renforcer l’image d’un Royaume moderne, prônant un Islam modéré ».
Un storytelling bien ficelé qui renforce à la fois l’image d’un roi qui transcende la politique, mais également celle d’un « Commandeur des croyants » en action. Une image nécessaire à l’adhésion populaire à l’hégémonie du palais sur la politique nationale.