En 2020, l’OMS a identifié 25 pays susceptibles d’éliminer la transmission du paludisme sur leur territoire d’ici 2025. Quels sont les enjeux et les perspectives ?
L’Afrique subsaharienne reste la région la plus touchée par le paludisme dans le monde. Onze pays de cette région représentent les deux tiers du fardeau mondial.
La Journée mondiale contre le paludisme est célébrée le 25 avril. Quels progrès ont été réalisés dans la lutte contre cette maladie, quelles sont les lacunes et que fait-on pour les combler ?
En tant que chercheurs spécialisés dans le paludisme en Afrique, nous pensons que le continent peut vaincre cette maladie. De nouveaux outils efficaces ont été ajoutés à la panoplie de lutte contre le paludisme.
Les chercheurs et les programmes de lutte contre le paludisme doivent toutefois renforcer leur collaboration. Cela permettra de garantir que les ressources limitées soient utilisées de manière à avoir le plus grand impact possible.
Les chiffres
Des progrès ont été réalisés, mais dans certains cas, il y a eu des reculs.
- Entre 2000 et 2015, le nombre de nouveaux cas a diminué de 18 %, passant de 262 millions en 2000 à 214 millions en 2015. Depuis lors, les progrès ont marqué le pas.
- L’Organisation mondiale de la santé estime qu’environ 2,2 milliards de cas ont été évités entre 2000 et 2023. En outre, 12,7 millions de décès ont été évités. En 2025, 45 pays seront certifiés exempts de paludisme. Seuls neuf de ces pays se trouvent en Afrique. Il s’agit notamment de l’Égypte, des Seychelles et du Lesotho.
- L’objectif mondial fixé par l’OMS était de réduire de 75 % le nombre de nouveaux cas par rapport à 2015. L’Afrique aurait dû signaler environ 47 000 cas en 2023. Au lieu de cela, 246 millions ont été recensés.
- Presque tous les pays africains où la transmission du paludisme est active ont connu une augmentation des cas de paludisme en 2023. Le Rwanda et le Libéria font exception.
Alors pourquoi les progrès stagnent-ils et, dans de nombreux cas, s’inversent-ils ?
Les revers
La lutte efficace contre le paludisme est extrêmement difficile. Les populations de parasites et de moustiques responsables du paludisme évoluent rapidement, ce qui les rend difficiles à contrôler.
L’Afrique abrite des moustiques vecteurs du paludisme qui préfèrent piquer les humains plutôt que les autres animaux. Ces moustiques se sont également adaptés pour éviter les surfaces traitées avec des insecticides.
Il a été démontré en Afrique du Sud que les moustiques peuvent piquer les personnes à l’intérieur de leur maison, mais qu’ils évitent se reposer sur les murs pulvérisés.
Les moustiques ont également développé des mécanismes pour résister aux effets des insecticides. La résistance des vecteurs du paludisme à certains insecticides utilisés dans la lutte contre cette maladie est très répandue dans les zones endémiques. Les niveaux de résistance varient à travers l’Afrique.
La résistance à la classe des pyréthroïdes est la plus courante. La résistance aux organophosphates est rare, mais présente en Afrique de l’Ouest. À mesure que les moustiques développent une résistance aux produits chimiques utilisés pour lutter contre les moustiques, la pulvérisation des maisons et les moustiquaires imprégnées d’insecticide deviennent moins efficaces. Cependant, dans les régions où les cas de paludisme sont nombreux, les moustiquaires continuent d’offrir une protection physique malgré la résistance.
Un défi supplémentaire réside dans le fait que les parasites du paludisme continuent de développer une résistance aux médicaments antipaludiques. En 2007, les premières preuves ont commencé à apparaître en Asie du Sud-Est que les parasites développaient une résistance aux artémisinines. Il s’agit de médicaments essentiels dans la lutte contre le paludisme.
Récemment, ce phénomène a également été observé dans certains pays africains. La résistance à l’artémisinine a été confirmée en Érythrée, au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda. Des marqueurs moléculaires de résistance à l’artémisinine ont récemment été détectés chez des parasites provenant de Namibie et de Zambie.
Les parasites du paludisme ont également développé des mutations qui les empêchent d’être détectés par le test de diagnostic rapide le plus utilisé en Afrique.
Les pays de la Corne de l’Afrique, où les parasites présentant ces mutations sont courants, ont modifié les tests de diagnostic rapide du paludisme utilisés pour garantir un diagnostic précoce.
Les progrès
Néanmoins, la lutte contre le paludisme a été renforcée par de nouvelles stratégies de contrôle.
Tout d’abord, après plus de 30 ans de recherche, deux vaccins contre le paludisme, RTS,S et R21, ont enfin été approuvés par l’OMS. Ils sont actuellement déployés dans 19 pays africains.
Ces vaccins ont permis de réduire le nombre de cas et de décès dans la tranche d’âge à haut risque des moins de cinq ans. Ils ont réduit cas de paludisme grave d’environ 30 % et les décès de 17 %.
Deuxièmement, l’efficacité des moustiquaires imprégnées d’insecticide longue durée a été améliorée.
De nouveaux insecticides ont été homologués. Des composants chimiques qui aident à gérer la résistance ont également été inclus dans les moustiquaires.
Troisièmement, de nouveaux outils semblent prometteurs. L’une des options est l’utilisation d’appâts toxiques sucrés attractifs. En effet, le sucre est l’aliment naturel des moustiques. La lutte biologique par modification des bactéries intestinales des moustiques pourrait également s’avérer efficace.
Quatrièmement, réduire les populations de moustiques en libérant des mâles stérilisés ou des moustiques génétiquement modifiés dans les populations de moustiques sauvages sont également prometteurs. Des essais sont actuellement en cours au Burkina Faso. Des mâles génétiquement stérilisés ont été relâchés à petite échelle. Cette stratégie s’est avérée encourageante pour réduire la population.
Cinquièmement, deux nouveaux antipaludiques devraient être disponibles d’ici un an ou deux. Les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine constituent le traitement standard contre le paludisme. Une amélioration de ce traitement est la trithérapie à base d’artémisinine. Il s’agit d’une combinaison de ce médicament avec un autre antipaludique. Des études menées en Afrique et en Asie ont montré que ces trithérapies sont très efficaces pour lutter contre le paludisme contrôler le paludisme.
Le second médicament est le premier traitement antipaludique développé sans artémisinine depuis plus de 20 ans. Le ganaplacide-lumefantrine s’est révélé efficace chez les jeunes enfants. Grâce à son mécanisme d’action totalement différent, il pourrait être utilisé contre les parasites résistant à l’artémisinine.
L’objectif final
Cela fait plusieurs années que la panoplie d’outils de lutte contre le paludisme s’est enrichie de nouveaux outils et stratégies ciblant à la fois le vecteur et le parasite. Le moment est donc idéal pour redoubler d’efforts dans la lutte contre cette maladie mortelle.
En 2020, l’OMS a identifié 25 pays susceptibles d’éliminer la transmission du paludisme sur leur territoire d’ici 2025. Si aucun de ces pays n’a éliminé le paludisme, certains ont réalisé des progrès significatifs. Le Costa Rica et le Népal ont signalé moins de 100 cas. Le Timor-Leste n’a signalé qu’un seul cas ces dernières années.
Trois pays d’Afrique australe font partie de ce groupe : Botswana, Eswatini et Afrique du Sud. Malheureusement, tous ces pays ont enregistré une augmentation du nombre de cas en 2023.
Grâce aux nouveaux outils, ces pays et bien d’autres pourront éliminer le paludisme, nous rapprochant ainsi du rêve d’un monde sans paludisme.
Shüné Oliver, Medical scientist, National Institute for Communicable Diseases et Jaishree Raman, Principal Medical Scientist and Head of Laboratory for Antimalarial Resistance Monitoring and Malaria Operational Research, National Institute for Communicable Diseases
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.