Ce mercredi, un groupe de députés de la Chambre des représentants (HOR) de l’est de la Libye, connue sous le nom de « Parlement de Toubrouk », s’est déplacé en Turquie. Au programme, une rencontre avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Une délégation de parlementaires de l’est de la Libye, dirigée par Fawzi al-Nuwairi, président par intérim du Parlement depuis qu’Aguila Salah s’est porté candidat à la présidentielle, était en Turquie ce mercredi. Il s’agit là de la première visite de représentants de la HOR et de responsables de l’est libyen en général, en Turquie. Le groupe de députés a rencontré le Groupe d’amitié libyen au parlement turc. Avant de s’entretenir avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Le chef du groupe d’amitié parlementaire Libye-Turquie, Ahmet Yıldız, a remercié la délégation libyenne pour cette visite « qui intervient dans un agenda libyen chargé compte tenu de la préparation des élections ». Il a déclaré que la Turquie « soutiendrait toujours la Libye dans tous les cercles internationaux ». De son côté, la présidence turque a indiqué que Recep Tayyip Erdoğan avait reçu la délégation dirigée par Al-Nuwairi à Ankara.
Une visite inattendue. Al-Nuwairi est considéré comme le cinquième homme de l’est, après Haftar père et fils, Aguila Salah et Abderrazak Nadhouri. Pour rappel, lors de l’assaut de Khalifa Haftar sur Tripoli entre 2019 et 2020, la Turquie était du côté de Tripoli et a grandement participé à repousser les troupes du maréchal. Avec le soutien d’Aguila Salah pour Haftar depuis, les relations entre Benghazi et la Turquie ne s’étaient pas améliorées. Que doit-on conclure de cette visite ?
Erdoğan a-t-il changé de position vis-à-vis des EAU ?
Si du côté de la Turquie, comme du côté des parlementaires libyens, la raison de la rencontre serait « le renforcement des relations bilatérales », le journaliste Baudouin Loos soulève une hypothèse bien plus plausible. Celle du retour des relations cordiales entre les Emirats arabes unis (EAU) et la Turquie.
Tout d’abord, la Turquie traverse une crise financière. Malgré une croissance de 7,4 % au troisième trimestre 2021, l’inflation a atteint un niveau record de 21,3 %. La livre turque a chuté de 45 % par rapport au dollar américain depuis le 1er janvier 2021, et de 30 % depuis novembre. Avec la baisse des taux d’intérêts de la Banque centrale turque afin d’amortir la crise, Erdoğan devait rapidement trouver des investissements directs d’urgence.
C’est là qu’intervient la visite du prince héritier d’Abu Dabi Mohamed Ben Zayed Al Nahyane à Ankara le 24 novembre dernier. Le prince des Emirats est arrivé en Turquie avec 10 milliards de dollars d’investissements directs. Recep Tayyip Erdoğan faisait état d’une « nouvelle ère » dans les relations entre les EAU et la Turquie. Une relation qui ne cesse de s’envenimer en raison de la crise diplomatique du Golfe arabe, dans laquelle la Turquie soutient le Qatar contre les EAU et l’Arabie saoudite. Mais également à cause du soutien des EAU pour Israël après la signature des Accords d’Abraham.
En Libye, les Emirats faisaient office de hub pour l’armement occidental — américain, français et allemand en l’occurrence — de Khalifa Haftar en Libye et d’Abdel Fattah al-Sissi en Egypte. Des ennemis de l’Etat libyen aux antipodes d’Ankara.
Une Turquie réconciliatrice en Libye
Une situation qui semble donc évoluer. Pour Recep Tayyip Erdoğan, un rapprochement avec l’est libyen est également une chance de prendre une position en vue de la réconciliation en Libye. Le pays en a grandement besoin, surtout avec l’échéance du 24 décembre. La non-tenue de l’élection, si la Libye demeure divisée, est annonciatrice de conflit.
Fin novembre, le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin, a déclaré que la « Turquie continuera de soutenir la Libye même en cas de report des élections ». Lors d’une intervention sur les incertitudes électorales en Libye, Kalin a déclaré qu’il était « nécessaire de souligner l’importance de l’intégrité territoriale et de l’unité politique de la Libye ». « En tout cas, quoi qu’ils décident, ce doit être un processus dirigé par les Libyens. Tous les acteurs internationaux doivent respecter et soutenir ce processus », estime le Turc.
Pour rappel, Benghazi avait déjà fait un geste vers un rapprochement avec Ankara. Sept ressortissants turcs avaient été relâchés fin novembre, après avoir été emprisonnés par l’ANL de Khalifa Haftar pendant deux ans.