Le chef de la chambre basse du parlement libyen, Aguila Salah, a fait voter ce mardi une motion de censure contre le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah.
Les élections libyennes de décembre vont-elles être reportées ? La Libye est en tout cas plongée dans une nouvelle crise politique, mettant à mal les efforts d’unité nationale lancés par l’ONU l’année dernière puis parrainés par l’Union africaine et les pays voisins, dont l’Algérie. Le président du Parlement, Aguila Salah, vient en effet de désavouer le gouvernement. Une nouvelle étape après que le dirigeant politique a promulgué une loi électorale sur mesure, de façon unilatérale, il y a dix jours. Cette nouvelle crise politique permet de mieux comprendre les nouvelles alliances qui se créent : alors qu’Aguila Salah semblait soutenir son ancien colistier, le ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha, en vue de l’élection présidentielle, les analystes voient en ses précédentes décisions une redistribution des cartes.
Qu’a-t-il donc bien pu se passer dans la soirée du mardi 21 septembre ? Aguila Salah a fait voter une motion de censure contre le gouvernement de Tripoli. La séance parlementaire se tenait à huis clos. Mais selon le procès verbal de la séance, 89 des 113 députés présents pour la motion de censure ont voté en faveur de cette dernière. Toutefois, la motion ne sera pas validée par le Sénat, qui boycotte la chambre basse depuis la promulgation illégale de la loi électorale. Ni, d’ailleurs, par le Conseil présidentiel, dont le chef, Mohammed el-Menfi, a été élu par le Forum politique libyen, au même titre que le chef du gouvernement Abdel Hamid Debibah. La motion profitera quoi qu’il en soit à un homme : le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), le maréchal Khalifa Haftar. Un sacré rebondissement et une surprise pour la communauté internationale, et plus particulièrement pour la Russie, la Turquie, l’Algérie et l’Egypte.
Une motion de censure cooptée par Haftar ?
Haftar fait-il cavalier seul ? Aucun doute ne subsiste quant à la rupture imminente entre le maréchal et le groupe paramilitaire russe Wagner. Ce dernier, qui soutenait les forces de l’est libyen avec plus de 20 000 soldats, semble être totalement étranger à la décision politique d’Aguila Salah. D’autant que la Russie a toujours joué la carte du consensus en Libye. Quant au GNU d’Abdel Hamid Dbeibah, il s’appuie avant tout sur le soutien diplomatique onusien et sur l’aide militaire turque. Après le récent sommet des voisins de la Libye, parrainé par l’Algérie, la résolution de la crise libyenne semblait être désirée par la Russie et la Turquie. La proposition de Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, se résumait alors à un accord entre Haftar et Tripoli concernant un retrait des forces étrangères de Libye.
Aguila Salah bénéficie donc désormais du soutien du maréchal Haftar dans une décision que le président du Sénat, Khaled al-Michri, qualifie de « folie ». La motion de censure a en effet fait l’effet d’une bombe en Libye. Le texte, voté hier, prévoit, certes, que le GNU reste en place pendant six mois pour conduire les affaires courantes. Mais le gouvernement risque de ne pas accepter la décision parlementaire, et plus particulièrement la loi électorale décidée par Salah. Quant aux islamistes, à Saïf al-Islam Kadhafi ou encore à l’Algérie, la Turquie et la Russie, ils devraient tous être opposés à cette motion. Même l’Egypte, qui a soutenu Haftar ces derniers mois, ne pourra pas continuer à le soutenir. En effet, le désaveu envers le GNU met un coup d’arrêt à un contrat de 4,2 milliards de dollars impliquant un million de travailleurs égyptiens dans la reconstruction de la Libye, signé la semaine dernière. Sans doute le prix de l’adhésion du Caire à l’initiative d’Alger.
A qui profite la fin de la paix en Libye ?
La décision d’Aguila Salah et de Haftar ne profite, finalement, qu’à deux parties : l’Union européenne (UE) et le front Soudan-Tchad. Début septembre, Reuters avait rapporté des confrontations entre les rebelles tchadiens du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) et l’armée tchadienne d’un côté, et l’ANL de Haftar, des mercenaires soudanais et des soldats français de l’autre. Se sentant lâché par la Russie, après l’échec de son offensive sur Tripoli en 2019, et avec le retour récent de Saïf al-Islam Kadhafi sur la scène politique, Haftar se serait donc tourné vers la France et ses alliés, le Tchad et le Soudan. Enfin, de son côté, Aguila Salah bénéficie d’un soutien sans faille du Maroc, qui n’a pas été invité à prendre part au sommet organisé par l’Algérie.
Mais quel intérêt aurait la France à mettre un terme, une fois encore, à la paix en Libye ? La relation entre Paris et ses alliés transatlantiques est dans l’impasse, plus encore depuis l’affaire des sous-marins australiens. Cependant, soutenir Haftar en Libye reviendrait à s’opposer au reste de la communauté internationale. La loi électorale d’Aguila Salah et sa motion de censure envers le GNU laisse la voie à deux options : le début d’une nouvelle guerre civile dans laquelle le maréchal Haftar et le parlement de Toubrouk seraient isolés ; ou alors un retour de Salah sur ses décisions et une reprise du processus lancé par les Nations unies. Dans les deux cas, Salah est sous surveillance de la part d’une communauté internationale qui voit de plus en plus s’éloigner les élections de décembre.