La Première dame ivoirienne, Dominique Ouattara, a discuté avec l’épouse de l’opposant de son mari. L’occasion de revenir sur l’évolution du rôle des Premières dames en Afrique.
En Côte d’Ivoire, la Première dame et l’épouse de l’ancien président, aujourd’hui opposant, Henri Konan Bédié, se sont appelées à l’occasion du décès du Premier ministre Hamed Bakayoko. Un coup de téléphone à l’initiative de Madame Bédié, qui joue un véritable rôle de Première dame au sein de la résidence du Sphinx de Daoukro, à Cocody. Alors que « HKB » et « ADO » s’étaient rencontrés à l’hôtel du Golf en novembre dernier, c’est depuis silence radio entre les deux hommes. Les deux épouses espèrent donc jouer le rôle de conciliatrices et de faire faire un pas important à leurs époux. Ces femmes ont dû mettre leur fierté de côté : cela faisait depuis novembre 2018, et un déjeuner au Fouquet’s à Paris, qu’elles ne s’étaient pas parlé. Au lendemain des législatives ivoiriennes, cette prise de contact entre les épouses Ouattara et Bédié est de bon augure pour le pays : nul doute qu’il a été question, lors de ce coup de fil, de futures discussions entre l’opposition et le pouvoir en place.
La montée en puissance des Premières dames
Avant de se cantonner à la conciliation, les Premières dames africaines avaient, pour certaines, des rôles encore plus importants et une vision politique qu’elles tentaient d’imposer à leurs maris respectifs. Femmes de poigne, Simone Gbagbo, Grace Mugabe ou encore Rosine Soglo ont longtemps œuvré en coulisse pour diriger de façon indirecte. Les présidents ivoirien, zimbabwéen et béninois voyaient régulièrement leurs épouses donner leur avis sur la politique intérieure ou internationale. « La figure des femmes de président a gagné depuis plus d’une décennie une éminence certaine et connu un processus lent mais continu d’institutionnalisation et de formalisation de leur statut au niveau international », écrivent Christine Messiant et Roland Marchal dans « Politiques africaines », qui rappellent que « certaines femmes de président ont été des acteurs politiques avant l’accès de leur époux à la présidence », à l’instar de Winnie Mandela et Simone Gbagbo.
On a connu, après les indépendances africaines, une « montée en puissance des Premières dames ». Notamment avec l’émancipation des femmes dans le monde occidental. Mais comme partout ailleurs dans le monde, il était difficile de laisser le pouvoir entre les mains des femmes, qui s’imposaient donc au sein de leur couple sans pour autant avoir de fonctions officielles au sein de l’Etat. Pourtant, certaines d’entre elles ont eu de véritables rôles politiques officiels, notamment dans les formations politiques de leurs maris respectifs : Simone Gbagbo a, encore aujourd’hui, une influence au sein du Front populaire ivoirien, tandis que Rosine Soglo a dirigé la Renaissance du Bénin. « Derrière chaque grand homme se cache une femme », dit un vieil adage. Des décennies durant, ce dernier s’est vérifié. Mais de dirigeantes de l’ombre, les Premières dames ont petit à petit changé de rôle pour prendre un virage plus social, comme le font les Premières dames occidentales, plus apolitiques.
« Ma femme est un homme politique »
En Europe, Bernadette Chirac — dont le mari disait « Ma femme est un homme politique » — a en effet longtemps œuvré pour les hôpitaux français. A chaque nouveau président français élu, l’épouse de ce dernier se lance dans une action sociale de grande ampleur. En Afrique, les Premières dames ont elles aussi, ces dernières années, pris une nouvelle dimension. Et la crise de la Covid-19 a accentué ce virage vers de grandes causes : Marième Sall, Chantal Biya ou encore Antoinette Sassou Nguesso, Denise Tshisekedi et Dominique Ouattara… Toutes sont à la têtes de fondations ou d’ONG. Dons de matériel pour lutter contre la Covid-19 (masques chirurgicaux, gel hydroalcoolique ou matériel médical), distributions de vêtements et de nourriture… Telles des ambassadrices, les Premières dames africaines jouent leur partition, de façon à promouvoir un peu plus l’action de leurs présidents de maris.
En public, des ambassadrices. Mais dans l’ombre, ces Premières dames sont restées des pièces maîtresses de l’échiquier politique. Pas aussi directives que Simone Gbagbo, certes, mais les épouses de présidents continuent de jouer des rôles de médiatrices de l’ombre. On l’a vu avec Dominique Ouattara qui, avant de s’entretenir avec Henriette Bédié, avait rencontré Tidjane Thiam, potentiel concurrent de son mari lors de la dernière présidentielle. En termes de communication politique, les Premières dames peuvent être un atout non négligeable pour les présidents. Mais aussi un handicap : car quand elles ne jouent pas un rôle politique, les épouses se transforment en businesswomen. Surnommée « Leïla », en hommage à la femme du dictateur tunisien Ben Ali dont la famille pillait les ressources de la Tunisie, Dominique Ouattara est aussi un caillou dans la chaussure d’Alassane Ouattara. En cas de grogne, les peuples africains n’hésitent pas à balayer les dirigeants… et les Premières dames.