Alors que la France fait ouvertement pression pour que le Mali abandonne son projet de coopération avec les paramilitaires russes de Wagner, le Premier ministre Choguel Maïga accuse Paris d’avoir failli à ses engagements.
« Une espèce d’abandon en plein vol ». Le retrait annoncé de l’opération Barkhane, par la France, n’est pas passé inaperçu au Mali. Le Premier ministre Choguel Maïga a qualifié, devant l’Assemblée générale des Nations unies, la décision française de trahison. Choguel Maïga considère que l’attitude française vis-à-vis du Mali conduit son pays « à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires ». A demi-mots, le Premier ministre fait évidemment référence à un projet de contrat avec l’agence russe Wagner.
Le chef du gouvernement malien accuse ouvertement la France d’avoir créé une brèche sécuritaire dans le nord du pays. Sur décision du président français Emmanuel Macron, les forces de l’opération Barkhane se retirent de cette région menacée par le terrorisme. Et si le chef de l’Etat français et sa ministre des Armées Florence Parly semblent prédisposés à prendre leur temps pour mettre en place un nouveau dispositif, le Mali y voit, de son côté, un point de non-retour.
En effet, la France a décidé de retirer la moitié de son armée du Mali. Une décision prise de façon unilatérale par Emmanuel Macron, qui parle d’un « nouveau dispositif » qui inclurait d’autres « partenaires internationaux » dans le cadre de l’opération Takuba, qui inclura cette fois des forces européennes. La présence française était largement critiquée au Mali. Mais l’arrivée d’une armée inexpérimentée, qui sera équipée par l’OTAN, laisse planer un véritable flou quant aux échéances de déploiement et aux objectifs.
Les relations ne sont actuellement pas au beau fixe entre le président malien Assimi Goïta et la France, notamment à cause du lobbying de Paris pour isoler financièrement et diplomatiquement le Mali. Alors, les exigences françaises sont actuellement vues comme des provocations par Bamako.
Les maladresses françaises
Le Mali a-t-il réellement besoin de la France ? Si le président Assimi Goïta travaille en coulisse pour montrer que ce n’est pas le cas, son Premier ministre est, lui, plus direct : « On veut travailler avec la France, mais il faut que le partenariat soit équitable », affirmait Choguel Maïga à la veille de sa nomination. Cependant, comme partout en Afrique subsaharienne, là où la France se retire, d’autres partenariats prennent forme : le groupe paramilitaire russe Wagner est ainsi devenu un partenaire de choix pour les autorités centrafricaines, sud-soudanaises, mozambicaines ou encore libyennes.
Alors, lorsque les rumeurs d’un contrat entre le groupe Wagner et l’armée malienne sont sorties dans la presse, la panique s’est emparée de l’Etat français. Et comme toujours, la panique française donne lieu à des maladresses. L’envoi de Florence Parly au Mali en a été une de taille. Le Mali y a vu des menaces, là où Paris voulait rassurer, mais surtout garder son pré carré. « L’annonce unilatérale du retrait de Barkhane et sa transformation n’ont pas tenu compte du lien tripartite qui nous lie » estime Choguel Maïga qui y voit une rupture du contrat moral établi entre l’ONU, le Mali et la France. « Le Mali regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision », a résumé le Premier ministre malien.
Mali et Russie sur la même longueur d’ondes
Du côté malien, comme du côté russe, le partenariat militaire reste encore très confidentiel. Choguel Maïga affirme que l’armée de son pays se lie surtout d’amitié avec « de nouveaux partenaires » tout en affirmant qu’il « ne connait pas de groupe Wagner ». Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, pour sa part, confirme que « les autorités maliennes se sont tournées vers une société militaire privée russe », sans citer Wagner. Lavrov préfère, avant tout, expliquer la raison de ce nouveau partenariat : « Si je comprends bien, la France veut réduire significativement ses forces militaires qui devaient combattre les terroristes à Kidal. Les forces Barkhane n’y sont pas arrivées et les terroristes continuent de régner dans cette région », résume le chef de la diplomatie moscovite.
Un résumé qui prend la forme d’une provocation envers Paris. Le chef de la diplomatie russe nuance cependant en indique que la Russie « n’a rien à voir avec ça ». Lavrov et Maïga semblent être sur la même longueur d’ondes : les deux hommes voient dans les réactions françaises de l’intimidation, et dénoncent l’inefficacité de Paris dans le dossier malien. Une alliance militaire entre le Mali et Wagner pourrait cependant avoir des répercussions géopolitiques.
La souveraineté du Mali avant tout
L’inflexibilité française après les gestes d’apaisement entrepris par la junte d’Assimi Goïta depuis son coup d’Etat s’explique : Goïta avait cherché l’unité nationale en nommant son gouvernement, en dépit de la France et non grâce à elle. Depuis, le Mali tente de remédier aux problèmes majeurs dans le pays, comme ceux concernant les contrats miniers, l’infrastructure et la sécurité.
Les futures élections maliennes ne se feront pas dans les délais fixés par la France et ses alliés de la Cedeao. Et lors de l’adresse de Choguel Maïga face à l’Assemblée générale de l’ONU, le Premier ministre est revenu sur le sujet. Le calendrier des élections de la Cedeao ne sera pas prioritaire : « Nous allons mener les actions nécessaires qui conduisent aux élections. A partir de là, on pourrait tomber sur le 27 février (2022, ndlr) comme on peut avoir deux semaines ou quelques mois de plus », a affirmé Maïga, qui estime que « le plus important pour nous, (…) c’est de suivre une démarche qui minimise les risques de contestation des élections ».
Un désaveu pour la Cedeao et pour Paris. En cas de réussite de la transition, le Mali tirera forcément à lui seul les bénéfices. Pour le duo Goïta-Maïga, la volonté de peuple malien passe avant tout, et la sécurité, comme les élections et les partenariats économiques devront respecter un principe fondamental pour Bamako : la souveraineté du Mali.