Le conflit actuel au Soudan aura des répercussions économiques, sociales et politiques dans un certain nombre de pays, estime John Mukum Mbaku, professeur.
Le Soudan, troisième pays d’Afrique par sa superficie, partage ses frontières avec sept pays dans une région instable. Cela signifie que le conflit actuel au Soudan aura des répercussions économiques, sociales et politiques sur un certain nombre de pays, notamment la République centrafricaine, l’Égypte, la Libye, le Tchad, le Soudan du Sud, l’Éthiopie et l’Érythrée.
Le conflit pourrait également affecter des pays plus éloignés, notamment les États-Unis, la Russie, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite, qui entretiennent des liens économiques étroits avec le Soudan. Il pourrait déstabiliser la région du Sahel et la Corne de l’Afrique et mettre en péril les intérêts américains dans ces régions. Il pourrait également retarder la ratification, par l’assemblée législative qui n’a pas encore été formée, de l’accord permettant à la Russie de construire une base navale à Port-Soudan. Enfin, le conflit pourrait entraver les échanges commerciaux entre le Soudan et les États du Golfe, à savoir les [Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite (https://oec.world/en/profile/bilateral-country/are/partner/sdn).
Les principales exportations du Soudan sont l’or, qui a rapporté un total de 2,85 milliards de dollars américains en 2021, l’arachide (488 millions USD), le pétrole brut (385 millions USD), et les ovins et caprins (239 millions USD), tous vendus principalement aux Émirats arabes unis, à la Chine, à l’Arabie saoudite, à l’Inde et à l’Italie.
Le Soudan (et le Soudan du Sud) a exporté environ 132 000 barils de pétrole brut par jour en 2021, les Émirats arabes unis représentant 45 % de ces exportations. Le Soudan est également le premier exportateur mondial de gomme arabique, un ingrédient clé pour de nombreuses industries alimentaires. La récolte de ce produit a été perturbée par le conflit.
Les principales importations du Soudan sont le sucre brut, le pétrole raffiné, le blé, les médicaments et les voitures. Les fournisseurs sont principalement la Chine, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Inde et l’Égypte. Le conflit actuel pourrait faire dérailler ce commerce et créer des problèmes économiques pour le Soudan et ses partenaires commerciaux.
Le Soudan n’est pas un marché d’exportation majeur pour ces pays, mais ils devraient se préoccuper de l’instabilité à Khartoum pour au moins deux raisons. Premièrement, le conflit pourrait déstabiliser la région et nuire aux efforts déployés par ces pays pour développer leurs exportations. Deuxièmement, le Soudan est situé sur la mer Rouge. L’instabilité pourrait interférer avec les flux commerciaux passant par le canal de Suez, limitant ainsi la capacité de ces pays à commercer avec le reste du monde.
Port-Soudan, qui se trouve à environ 169 milles nautiques de Djeddah (Arabie saoudite), est un point de passage important pour des milliers de musulmans de l’ouest et d’autres parties de l’Afrique qui embarquent pour le Hajj à la Mecque via le Port islamique de Djeddah. En outre, la plupart des transporteurs aériens nigérians du Hajj transitent par l’espace aérien soudanais pour se rendre à la Mecque. Un conflit violent au Soudan pourrait contraindre ces transporteurs à chercher d’autres itinéraires, plus coûteux et plus longs, ce qui pourrait empêcher de nombreux musulmans d’accomplir avec succès cet important rituel religieux.
En outre, 90 % du commerce extérieur du Soudan passe par Port-Soudan. Le port est également une porte d’entrée maritime commerciale importante pour les pays voisins enclavés. Le blocage du port pourrait aggraver les pénuries déjà aiguës de produits de base essentiels, notamment de denrées alimentaires.
Port-Soudan dispose également d’un port à conteneurs qui gère les échanges en provenance et à destination de diverses parties du monde. D’aucuns affirment que la Russie cherche à construire une base militaire à Port-Soudan afin de permettre à ses navires de guerre d’accéder à l’une des voies maritimes les plus fréquentées et les plus disputées du monde – le canal de Suez – et d’exercer une influence sur celui-ci.
Effet d’entraînement
Une guerre civile au Soudan pourrait se propager aux pays voisins déjà en proie à la violence, tels que le Tchad, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, l’Erythrée et l’Éthiopie.
Si les voisins du Soudan s’impliquaient d’un côté ou de l’autre du conflit, la région pourrait se retrouver impliquée dans la guerre civile, en grande partie parce que les populations des zones frontalières partagent un héritage commun.
Deux pays risquent de souffrir le plus en cas d’escalade du conflit : l’Égypte et le Soudan du Sud.
Le Soudan chevauche le Nil. Ses principaux affluents se rejoignent à Khartoum, puis s’écoulent en aval vers l’Égypte, qui a besoin d’eau. La fragilité de Khartoum pourrait affecter l’approvisionnement en eau douce de l’Égypte et, partant, son développement économique et social.
L’instabilité à Khartoum pourrait également faire capoter les efforts visant à parvenir à un accord sur le remplissage et la gestion du grand barrage de la Renaissance éthiopenne. Cela pourrait créer des problèmes, non seulement pour l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie, mais aussi pour l’ensemble du bassin du Nil.
Le grand barrage de la Renaissance éthiopienne est un projet hydrolélectrique que le Caire considère comme une menace pour son utilisation du Nil. Depuis que l’Ethiopie a commencé à construire le barrage en 2011, l’Egypte compte sur le coopération de Khartoum pour lutter contre les dangers censés menacer la sécurité de son approvisionnement en eau.
Le Caire pourrait considérer la situation sécuritaire du Soudan comme une menace à la conclusion d’un traité tripartite mutuellement acceptable pour le remplissage et la gestion du barrage. Un Soudan pacifique et démocratique est donc important pour l’Égypte et les autres pays du bassin du Nil.
Quatre-vingt-dix pour cent de l’économie du Soudan repose sur le pétrole, qui est exporté via le Soudan vers Port-Soudan. Un conflit à Khartoum pourrait sérieusement perturber les expéditions de pétrole et provoquer un effondrement économique au Soudan du Sud.
Liens extérieurs
En dehors du continent africain, trois pays ont tout intérêt à voir le Soudan revenir à une coexistence pacifique : la Fédération de Russie, les États-Unis et les Émirats arabes unis.
La Fédération de Russie : la Russie souhaite avant tout avoir accès aux énormes ressources du pays, notamment l’or, l’uranium, le pétrole et ses installations portuaires. À l’avenir, la Russie a également beaucoup à perdre. Elle cherche depuis un certain temps à établir une base militaire à Port-Soudan, qui accueillerait environ 300 soldats et donnerait aux navires de guerre russes l’accès au canal de Suez et à la mer Rouge, ainsi que la possibilité d’exercer une influence sur ces derniers.
La Russie espère que son ancrage au Soudan lui donnera un meilleur accès à d’autres pays d’Afrique du Nord et de la Corne de l’Afrique. Une guerre civile de grande ampleur retarderait ou ferait échouer ce projet.
Les Etats-Unis : certains gouvernements étrangers, comme les États-Unis, ont indiqué qu’ils souhaitaient aider le Soudan à mettre en place des institutions démocratiques et un processus de gouvernement fondé sur l’État de droit. D’autres pourraient vouloir se mettre en position d’exploiter le pays et ses ressources. Cependant, depuis qu’il a signé les Accords d’Abraham, le Soudan est devenu un acteur important dans les efforts déployés par Washington pour améliorer les relations diplomatiques entre Israël et les États arabes.
Les Émirats arabes unis (EAU) : Les EAU possèdent des actifs militaires et commerciaux en Érythrée, au Somaliland, en Somalie et sur la côte sud du Yémen. Ils ont tout à gagner d’un Soudan en paix. Sous l’administration d’Omar al-Bashir – le chef militaire qui a dirigé le Soudan pendant trois décennies jusqu’à son renversement lors d’un soulèvement populaire en 2019 – le Soudan a bénéficié de milliards de dollars d’aide de la part des Émirats arabes unis. Les Émirats arabes unis ont également bénéficié de cette relation. Par exemple, le Soudan est devenu un important exportateur d’or vers les EAU.
Enfin, l’instabilité persistante au Soudan pourrait exacerber la situation humanitaire déjà grave dans de nombreux pays voisins du Soudan, comme le Tchad, qui a accueilli des centaines de milliers de réfugiés soudanais.
John Mukum Mbaku, Professeur, Weber State University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.