Macky Sall n’a pas encore décidé s’il se présentait à un troisième mandat ou non. Mais pour le président sénégalais, il en a le droit, juridiquement en tout cas.
« Sur le plan juridique, le débat est tranché depuis longtemps ». Lorsqu’il évoque un troisième mandat, le président sénégalais met de côté le débat « politique ». Il le sait : s’il postule à sa propre succession, il risque de déclencher la colère de ses opposants, mais aussi de ses ex-alliés. Si Ousmane Sonko a fait du barrage à un troisième mandat de Macky Sall un de ses chevaux de bataille, c’est désormais également le cas d’Aminata Touré. L’ex-Première ministre, cheffe de file de Macky Sall lors des législatives, estime qu’un troisième mandat est « impossible, impossible juridiquement, impossible moralement ».
Moralement, la question se pose effectivement. Mais juridiquement, pour le président sénégalais, il n’y a désormais plus de débat : « La question juridique est donc réglée », dit-il. Au moment de passer, en 2016, du septennat au quinquennat, le Conseil constitutionnel a, rappelle Macky Sall, « estimé que mon premier mandat était intangible et qu’il était hors de portée de la réforme » constitutionnelle. Son troisième mandat serait donc, selon le chef de l’État, un deuxième mandat en réalité.
Le Conseil constitutionnel, seul décisionnaire
En février dernier, Babacar Ba, président du Forum du justiciable, se référait lui aussi au Conseil constitutionnel, certain que le troisième mandat était bien trop sujet à interprétations pour être tranché par le commun des mortels : « Même les plus grands constitutionnalistes du pays sont divisés sur la question. Nous, nous estimons qu’il appartient à la plus haute instance judiciaire du pays de dire qui doit être candidat et qui ne doit pas l’être. Ne pas respecter les institutions, c’est fragiliser notre état de droit », expliquait-il.
Pour Roger Koudé, professeur de droit international, le débat sur le troisième mandat est une manipulation. « La problématique du troisième mandat ou des mandats illimités », écrit-il, est « un phénomène qui a concerné toutes les régions de l’Afrique et qui a été expérimenté dans au moins 26 États du continent africain. De même, on ne compte plus le nombre de chefs d’État africains qui, au terme de leur deuxième et normalement dernier mandat, ont manipulé les constitutions pour se maintenir au pouvoir, contre vents et marées ».
On se souvient des arguments d’Alassane Ouattara. Le président ivoirien avait évoqué un « cas de force majeure » après le décès d’Amadou Gon Coulibaly, le candidat de son parti. Mais son troisième mandat, disait le chef de l’État, était légitime, à en croire le Conseil constitutionnel. Le régime ivoirien avait alors mis en place un discours bien rodé : il s’agissait de dire que la modification constitutionnelle avait donné naissance à une nouvelle république. Et donc à une remise à zéro du nombre de mandats du président.
« Il ne s’agit pas du troisième mandat du président Ouattara. La Côte d’Ivoire a, depuis 2016, entrepris un changement constitutionnel en profondeur qui a donné naissance à une IIIe République », résumait Sidi Tiémoko Touré, ministre et porte-parole du gouvernement ivoirien.
En réalité, constitutionnalistes et spécialistes du droit continueront tout le temps à s’opposer sur la légalité des troisièmes mandats. Les recours aux Conseils constitutionnels sont donc la seule réponse à apporter aux débats. Reste qu’il existe un aspect « moral » à prendre en compte. Et c’est désormais sur ce point que se jouent les discussions au Sénégal, alors qu’en Côte d’Ivoire, personne n’a réussi à faire reculer Alassane Ouattara.
Entre juridique, politique et éthique
« Ce débat n’est pas que juridique, il est politique et puis fondamentalement éthique », estime Ndiaga Loum, juriste et politologue. Ce dernier écrit que les rédacteurs de la Constitution n’ont pas tranché sur la question du troisième mandat car « ils ont voulu laisser le plus largement ouvert le champ d’interprétation possible de la disposition qui régit la question ». Désormais, pour le politologue, « d’un côté se joue le destin d’une seule personne ou de son ‘clan’, de l’autre celui d’un peuple. C’est malheureusement quand vient l’heure des choix douloureux, que le patriotisme et le courage intellectuel foutent le camp ».
Reste que Macky Sall n’est pas encore certain de postuler à un nouveau mandat. À un an de la présidentielle, il serait prématuré de trancher définitivement la question. Le chef de l’État préfère attendre d’être certain quant à sa « conviction du moment ». Or, précise-t-il, « celle-ci peut évoluer et les circonstances peuvent m’amener à changer de position ».