Officiellement, il y a trente ans jour pour jour, la quatrième loi pilier de l’apartheid était abolie. Retour sur les négociations qui ont amené à cet épisode historique.
Quarante-trois ans. C’est le nombre d’années pendant lesquelles le group Areas Act et le Population Registration Act, les deux lois piliers de l’apartheid en Afrique du Sud, auront eu cours. C’est le 22 juin 1950 que le gouvernement sud-africain du Parti National unifié, dirigé par Daniel François Malan et allié au Parti Afrikaner, promulgue ces deux lois : la « Loi de classification de la population » d’un côté, la « Loi d’habitation séparée » de l’autre. Chaque Sud-Africain de plus de 16 ans est alors, à l’époque, répertorié et classé en fonction de sa couleur de peau.
Trois ans plus tard, en 1953, les autorités mettent en place le Separate Amenities Act, qui vient compléter un arsenal juridique déjà raciste. C’est désormais officiel : les Blancs et non-Blancs seront séparés dans les lieux et les transports publics.
La libération de Mandela, une cause qui s’internationalise
Une situation qui durera près d’un demi-siècle. Parmi les farouches opposants à l’idéologie raciste de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela. En 1943, il a rejoint le Congrès national africain (ANC), cinq ans avant la victoire du Parti National unifié lors des élections générales de 1948. En 1961, alors président de l’ANC, Mandela opte pour la lutte armée, avec la création de la branche militaire du parti, Umkhonto we Sizwe (MK). L’année suivant, le militant, qui prône « une société libre et démocratique dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et avec les mêmes opportunités », sera arrêté grâce à l’aide de la CIA.
A l’époque, le monde ne connaît que trop peu Mandela. C’est surtout en Afrique du Sud qu’il dispose d’une belle notoriété. Ce n’est qu’au début des années 1980 que la planète commence à s’émouvoir pour Nelson Mandela, sous l’impulsion de Winnie, sa femme, qui internationalise la cause. Winnie rencontre alors un Français, Jean-Yves Ollivier. Spécialisé dans le négoce, l’homme d’affaires dispose de bons réseaux en Afrique et a proposé à Jacques Chirac, alors Premier ministre de François Mitterrand, de tout faire pour faire libérer Mandela.
« Libérez Nelson Mandela ! Ce n’est pas en scandant des slogans qu’on va y arriver »
A l’époque, Ollivier a déjà négocié des libérations de prisonniers. « Aujourd’hui, personne ne se doute que cet exploit n’est pour moi qu’un premier pas dans la longue marche vers la paix régionale. À travers ces prisonniers rendus à leur vie, je vise le prisonnier qui peut enrayer la martingale de la haine non seulement autour de l’Afrique du Sud, mais au pays de l’apartheid même, écrit Jean-Yves Ollivier dans son livre « Ni vu, ni connu ». ‘Libérez Nelson Mandela !’… Ce n’est pas en scandant des slogans et en agitant des calicots qu’on va y arriver ».
Débute alors un véritable marathon diplomatique. Lors duquel cet « auto-entreprenur en diplomatie privée », comme le définit parfois la presse, navigue d’un camp à l’autre pour d’âpres discussions. Bien avant que celui-ci n’arrive au pouvoir, Jean-Yves Ollivier est invité à rencontrer Frederik de Klerk, alors ministre de l’Education, qui, lui indiquent des intermédiaires, « sera appelé à jouer un rôle très important » en Afrique du Sud. De Klerk est un Afrikaner qui, selon l’homme d’affaires, semble « maléable ».
De Klerk promet la fin de l’apartheid
Alors que les sanctions contre l’Afrique du Sud empêchent les Européens de se rendre là-bas pour discuter avec les dirigeants du pays, une rencontre secrète est organisée par Ollivier entre Manuel Barroso, jeune secrétaire d’Etat portugais aux Affaires étrangères et à la Coopération, et Frederik De Klerk. Nous sommes à la fin des années 1980 et ce dernier explique au Portugais que le président Pieter Willem Botha va quitter le pouvoir. De Klerk assure qu’il est le prochain chef de l’Etat et qu’il va mettre fin à l’apartheid et libérer Mandela.
En août 1989, les dires de Frederik de Klerk prennent forme, après une « révolution de palais » facilitée par l’accident cardio-vasculaire de P.W. Botha. De Klerk va prendre du temps avant de mettre fin à l’apartheid, il va d’abord passer par Londres et par Paris pour dévoiler ses plans à Margaret Tatcher puis à François Mitterrand. Le Congo de Denis Sassou N’Guesso jouera également un grand rôle dans la libération de Mandela. Quelques années avant que de Klerk n’accède au pouvoir, DSN, alors président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), est l’un des chefs d’Etat africains les plus fermement opposés à l’apartheid. Après avoir refusé de recevoir Botha, Sassou N’Guesso accepte, convaincu par Jean-Yves Ollivier, de « s’impliquer dans la recherche d’une solution négociée qui ne sacrifierait pas la communauté blanche en Afrique du Sud », notamment avec Houphouët-Boigny.
Car c’est sans aucun doute l’enjeu des négociations d’Ollivier pour mettre fin à l’apartheid : faire discuter les deux parties pour en arriver à une solution sans qu’aucune vengeance soit exercée contre la communauté blanche. Le 2 février 1990, un an après son élection à la tête du Parti national, Frederik de Klerk finit par annoncer au Parlement la libération « inconditionnelle » de Nelson Mandela. Le 11 février, Mandela est effectivement libéré. S’en suivront plusieurs étapes de suppression des lois de l’apartheid.
Un prix Nobel de la Paix conjoint
Mais l’apartheid a-t-il réellement disparu avec l’abolition des lois piliers du régime ? En 1991, Nelson Mandela estime qu’on est loin de l’égalité : « Certains prétendent que nous sommes déjà dans ‘la nouvelle Afrique du Sud’, s’étonne-t-il. Les changements et les avancées sont dits tellement irréversibles que toute protestation et tout combat de notre part sont jugés inutiles. Il suffit pourtant d’analyser n’importe quel secteur de notre société pour constater à quel point tout cela est faux. L’actuelle répartition des qualifications professionnelles, des biens et de la terre démontre que le savoir-faire et le bien-être demeurent le privilège des Blancs ».
Les semaines qui suivront ce 30 juin 1991 et l’abolition du Population Registration Act ne ressembleront pas à une lune de miel entre Frederik de Klerk et Nelson Mandela. « On nous demande d’oublier l’histoire et de repartir de zéro. C’est impossible. Voilà une manière peu élégante de nous faire comprendre que les disparités sont toujours et encore maintenues », dira Mandela en juin 1991.
En 1993, Nelson Mandela et Frederik de Klerk recevront conjointement le prix Nobel de la Paix. Jean-Yves Ollivier se souvient de la colère de l’ex-prisonnier. Il explique n’avoir eu « aucune difficulté à comprendre la colère de Nelson, qui se trouvait injustement mis sur un pied d’égalité avec un simple ‘chargé de mission’, même si sa mission fut historique ».