A peine rentré de sa tournée africaine, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a invité le chef du Conseil militaire de transition (CMT) du Tchad, Mahamat Déby, à Ankara.
Si les récents accords signés entre la Turquie et le Togo semblaient inimaginables il y a quelques années encore, que penser d’une collaboration entre le Tchad et la Turquie ? Ce mercredi 27 octobre, le chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdoğan rencontrera le président du Conseil militaire de transition (CMT) tchadien Mahamat Déby, à Ankara.
Certes, le Togo a vu sa relation avec la France grandement fragilisée ces derniers mois, sans quoi son président, Faure Gnassingbé, n’aurait certainement pas cherché à tisser des liens avec la Turquie. Mais du côté du Tchad, une coopération avec la Turquie semble, à première vue, inconcevable en termes de géopolitique.
Et pourtant. Selon la direction de la communication de la présidence turque, Recep Tayyip Erdoğan cherchera à renforcer ses relations avec le Tchad sur les volets économique, culturel, mais aussi militaire. Avec une délégation de trois ministres tchadiens accompagnant Mahamat Déby à Ankara, tout porte à croire que des mémorandums, voire des accords de coopération, seront signés dans ces domaines.
Ce qui rend le contexte encore plus étrange. Car, à l’exception de quelques tensions entre la France et la Turquie, qui expliquent que cette dernière s’attaque aux pré-carrés français, du côté tchadien, la visite d’Etat de Déby contraste avec les intérêts français.
Mahamat Déby déçu par la France ?
Lorsqu’il s’agit de relations avec les pays africains, les relations hostiles entre la Turquie et la France transforment tout accord en compétition. Sur la question méditerranéenne, la guerre en Syrie, le soutien de la France au maréchal Haftar en Libye et d’Abdel Fattah al-Sissi en Egypte… Nombreux sont les dossier sur lesquels s’opposent les deux pays. Et quand il s’agit du Tchad, le soutien français au régime du défunt Idriss Déby, puis à celui de son fils, devrait naturellement décourager Ankara de tenter de tisser des liens avec N’Djaména.
Toutefois, le communiqué turc sur la rencontre entre Déby et Erdoğan soulève un point important : le leader turc est intéressé par l’essor de la transition tchadienne. Une transition dans laquelle l’influence française a été conditionnée par Mahamat Déby. Tout d’abord, contre la mise en place d’un gouvernement civil au Tchad, la France devait soutenir le Tchad financièrement dans l’organisation des pourparlers avec les groupes rebelles et les élections futures. Ensuite, Paris devait aider le Tchad à composer avec deux éléments influents de l’opposition : l’ancien général et Premier ministre, chef de l’Union des forces pour la démocratie et le développement, Mahamat Nouri, ainsi que le chef du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), Mahdi Ali.
Deux conditions de N’Djaména que la France n’a pas remplies. De son côté, pourtant, Mahamat Déby a rapidement mis en place un gouvernement civil et, pour ce que cela vaut, s’est mis en retrait le temps de quelques mois. Mais en plus, le gouvernement tchadien a revu ses exigences financières, pour l’organisation du dialogue national et les élections, à la baisse.
Paris perd petit à petit son influence au Tchad, ce qui aiguise l’appétit turc qui semble pouvoir exploiter cette ouverture.
Infrastructure et armement, les arguments d’Erdoğan
En décembre 2017, Recep Tayyip Erdoğan s’était rendu à N’Djaména. En compagnie d’Idriss Déby Itno, il avait signé cinq accords importants, notamment sur la construction de l’aéroport de Djermaya et l’exploitation pétrolière.
Aucun des projets n’avait abouti. En février 2019, Idriss Déby s’était tourné vers les investisseurs chinois. Mais alors que ces derniers avaient avancé dans plusieurs des contrats récupérés à la Turquie, la mort de l’ancien président tchadien a mis un coup d’arrêt aux constructions de l’aéroport, de la raffinerie de Djermaya, de l’oléoduc dans le nord-est du pays et de la route relayant N’Djaména à Djermaya. Notamment à cause de l’offensive du FACT.
Au niveau militaire également, le récent conflit meurtrier entre les troupes de Khalifa Haftar et le FACT sur la frontière tchado-libyenne n’était pas, selon une interview récente de Mahamat Mahdi Ali, commandité par N’Djaména. Les troupes soudanaises, libyennes et françaises ont fait le gros des dégâts sur les positions du mouvement rebelle. Un événement qui a poussé le FACT à ralentir ses discussions avec Mahamat Déby.
C’est là que la Turquie intervient. Car si la guerre de Tripoli entre 2019 et 2020 a montré une chose, c’est bien que la technologie militaire turque est efficace dans la région. Cela tombe davantage sous le sens, si l’on considère que lors de sa tournée africaine, Recep Tayyip Erdoğan avait principalement conclu les premiers accords de vente de drones militaires turcs en Afrique subsaharienne. Une arme très convoitée en Afrique du Nord.