Au Soudan, les militaires ont coupé l’herbe sous les pieds des civils. Un putsch qui doit beaucoup au soutien d’une partie de la population, aux divisions internes au sein du gouvernement et aux ingérences étrangères.
Le Soudan vient de connaître un nouvel épisode de son histoire, avec un coup d’Etat militaire qui est loin d’être surprenant. Depuis le début du mois d’octobre, pro-civils et pro-armée se défiaient dans les rues de Khartoum. Deux ans après la chute d’Omar el-Béchir, les militaires ont souhaité garder la mainmise sur le Soudan, alors qu’une période de transition devait amener à des élections dans les mois à venir et figer une paix bien fragile. Les civils devaient, dans un mois, récupérer le pouvoir. Or, il y a dix jours, le ministre des Finances, Jibril Ibrahim, avait demandé la formation d’un « gouvernement militaire ». Son vœu a été exaucé.
Pour la Russie, si ce coup d’Etat a pu se faire, c’est notamment à cause des ingérences étrangères. Le ministère russe des Affaires étrangères écrit, dans un communiqué, que « les autorités de transition et leurs parrains étrangers se moquaient dans la pratique du désespoir et de la situation pitoyable de la majeure partie de la population. Une ingérence étrangère d’ampleur dans les affaires intérieures de la république a abouti à la perte de confiance des citoyens du Soudan envers les autorités de transition (…), provoquant une instabilité générale dans le pays ». Autrement dit, l’appétit des puissances étrangères a provoqué une brèche dans laquelle se sont engouffrés les militaires.
Une déstabilisation qui doit beaucoup à la communauté internationale
Après le Mali et la Guinée, le Soudan est donc désormais aux mains des militaires. Le début des années 2000 avait été particulièrement agité en Afrique, où l’on avait observé des coups d’Etat ou des tentatives de putsch en Guinée-Bissau, à Sao-Tomé-et-Principe, au Burkina Faso, en Mauritanie et au Liberia, rien qu’en 2003. Le philosophe Pierre Franklin Tavares expliquait à l’époque que « les Etats africains se trouvent de plus en plus fragilisés — par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, d’un côté, et par les multinationales, de l’autre. C’est aussi cela, la ‘Françafrique’ ! » Et le philosophe de poursuivre « La déstabilisation des Etats africains s’inscrit ainsi dans la logique d’un ordre mondial inégalitaire, qui discrédite par lui-même la chose publique ».
Moscou résume de son côté le coup d’Etat comme « le résultat logique d’une politique ratée qui a été menée ces deux dernières années » au Soudan, dictée par les puissances étrangères. Si la Russie est bien présente au Soudan, on compte également l’Arabie saoudite, la Turquie et les Emirats arabes unis parmi les pays étrangers qui tentent d’obtenir des marchés. Mais également les Etats-Unis, qui n’ont jamais caché leur interventionnisme dans la politique soudanaise. Inquiets de l’arrestation du Premier ministre soudanais, les Américains viennent de suspendre une aide de 700 millions de dollars. Comme au Mali ou en Guinée, le temps sera compté pour les autorités en place, qui devront mettre en marche la transition sous la pression de la communauté internationale.
Pression française et nouvelles alliances avec la Russie
Mais c’est d’ailleurs une équation assez récente en Afrique : la communauté internationale occidentale condamne avec force les coups d’Etats. Comme elle l’a toujours fait lorsque ses propres intérêts étaient en jeu. Mais cette fois, les juntes militaires en place tiennent malgré tout, voire trouvent de nouvelles alliances. C’est le cas au Mali avec les négociations qui avancent avec l’entreprise paramilitaire Wagner. Bamako tente, non sans un certain succès, de s’émanciper de la France et lorgne du côté de Moscou, profitant notamment d’un sentiment anti-français de plus en plus présent au sein de la population. En Guinée, la pression de Paris est la même, et Conakry espère sans aucun doute suivre le chemin tracé par les militaires maliens.
« Dans la phase intermédiaire que traverse l’Afrique, la résolution (provisoire) des conflits nécessite encore l’intervention directe des Etats européens, dont les capitales ou les villes de banlieue – symbole significatif, révélateur et illustratif – deviennent les lieux de réconciliation des classes politiques africaines consacrant, de fait, leur aliénation », résumait en 2004 Pierre Franklin Tavares. C’est de moins en moins vrai. L’Europe a bien tenté de s’occuper du problème libyen, en se réunissant en Suisse ou en Allemagne. Mais finalement, la solution pourrait venir de l’Afrique. Cette mainmise de plus en plus fragile de la part de l’Occident pourrait être bénéfique pour l’Union africaine (UA). Mais, comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’UA semble, elle aussi, à la traîne. Reste à voir comment l’organisation appréhendera le dossier soudanais.