Le chef du triumvirat présidentiel en Libye, Mohammed el-Menfi, a imposé un ultimatum au Premier ministre Abdelhamid Dbeibah sur fond de désignation d’un ministre de la Défense et des tiraillements entre les diplomaties turque et russe.
Le président du Conseil présidentiel Libyen, Mohammed el-Menfi, a convié Abdelhamid Dbeibah à une réunion de haut niveau dimanche prochain. Dans la lettre adressée au Premier ministre, el-Menfi utilise un ton sévère. La menace est claire. Si Dbeibah ne choisit pas, au plus vite, un ministre de la Défense, le Conseil présidentiel l’outrepassera. Selon la lettre, el-Menfi serait même prêt à proposer un candidat au poste directement devant le Parlement.
Toutefois, la question du ministre de la Défense, poste occupé par intérim par Dbeibah, s’est déjà posée auparavant. Le Premier ministre avait alors suggéré qu’un pays étranger, en l’occurrence la Russie, exerçait des pressions pour nommer une personne précise (Haftar) à ce poste. D’où le fait que, malgré les concessions et le large accord autour du gouvernement d’unité nationale (GNU) de Dbeibah, le ministre de la défense n’a pas encore été nommé.
The Libyan Presidential Council calls the Prime Minister to nominate a Minister of Defense as soon as possible.#Libya pic.twitter.com/idu2PhXt30
— Jalal Othman (@jalalothman) June 28, 2021
El-Menfi, entre pouvoirs officiel et officieux
La menace d’el-Menfi pourrait toutefois ne pas avoir de conséquences institutionnelles. D’abord, le GNU jouit d’une large majorité au sein du Parlement libyen. En effet, plus de 139 députés soutiennent Dbeibah. Malgré tout, le soutien de ces députés relève du soutien de l’ancien Premier ministre, Fayez el-Sarraj et du président du parlement, Aguila Salah Issa.
En l’occurrence, si Aguila Salah s’entend plutôt bien avec Dbeibah, el-Sarraj est plus fugace. L’ancien Premier ministre est invisible depuis son remplacement en mars par Dbeibah. Ensuite, l’accord entre toutes ces personnes tient à deux facteurs : premièrement, il n’est envisageable pour aucun des six anciens kadhafistes, soit les quatre susmentionnés et les deux vice-présidents du conseil, d’être éjectés du pouvoir du jour au lendemain. Deuxièmement, le triumvirat présidentiel est plus important que le gouvernement. Dans la mesure où Dbeibah et le GNU représentent un accord hybride, national et international. Alors qu’el-Menfi, Moussa al-Koni et Abdullah al-Hafi sont la personnification du cessez-le-feu.
Breaking#Turkey–#Libya#Erdogan–#Menfi pic.twitter.com/VlTSkLJl39
— Tartus 🇹🇷🇵🇰🇻🇪🇮🇩🇱🇾🇦🇿🇭🇺 (@greatcountry_tr) March 26, 2021
Quel est le rôle du Conseil présidentiel en Libye ?
Le Conseil présidentiel, élu en février par 74 membres du Forum national libyen, est sans aucun doute le symbole de l’équilibre politique sur l’ensemble du territoire. Les mêmes 74 représentants, sans absence notable cette fois, sont de nouveau réunis à Genève. Cela fait des jours que les membres du Forum, composé de juristes, de chefs locaux et d’anciens députés, discutent des modalités des élections de décembre.
Alors que Dbeibah participait au Sommet de Berlin, la semaine dernière, el-Menfi faisait du lobbying afin de s’assurer le contrôle du Forum. Et, en effet, plusieurs analystes estiment que l’issue des travaux de Genève déterminera le futur de la transition libyenne. Bien que les membres du Conseil présidentiel, à l’exception d’el-Menfi, ne seraient pas présidentiables, ils contrôlent de facto le budget des élections et les modalités du choix du prochain président.
Deux issues sont possibles au Forum de Genève. Soit les membres choisissent le vote direct via un scrutin universel. Soit ils choisissent le scrutin indirect. Dans le Premier cas, l’ONU, la Turquie, la Russie et les chefs tribaux auront un rôle direct dans l’organisation des élections. Dans le second cas, il s’agira d’un dialogue de sourds lors duquel de nouvelles alliances pourraient se former. Et el-Menfi aurait alors une réelle chance de représenter un troisième choix pour les délégués.
En effet, avant d’être président du Conseil, el-Menfi est le représentant de l’Est libyen au sein du triumvirat. Descendant de la Cyrénaïque, il est naturellement influent à Al Koufrah, Benghazi et la région dite « des plaines ». Ce qui fait de lui un allié naturel de Haftar qui contrôle l’Est, et donc l’électorat d’el-Menfi. Mais el-Menfi est aussi influent dans la Tripolitaine grâce à son statut et sa proximité passée avec la Turquie, qui lui avait valu une expulsion de la Grèce, où il était ambassadeur.
Greece reopens embassy in Libya as PM Mitsotakis meets with PM Dbeibah and head of Presidential Council, Mohammad Younes Menfi, whom he had previously expelled from Athens following deal with Turkeyhttps://t.co/KFCTVX5Gyg
— DAILY SABAH (@DailySabah) April 7, 2021
El-Menfi contre Dbeibah et Haftar, le début d’un cauchemar politique ?
Ce dimanche 4 juillet, donc, le Conseil présidentiel rencontrera Dbeibah. Le Premier ministre devra désigner un ministre de la Défense. Or, Dbeibah, qui est proche du Qatar et de l’Occident, use de son statut de ministre de la Défense par intérim pour réguler l’armée libyenne. Par ailleurs, la ministre des Affaires étrangère Najla Mangoush avait proposé, en marge du Sommet de Berlin, de « réunir l’armée ». Elle a insisté que les « mercenaires soient rapatriés », parlant à la fois des milices syriennes, pro-turques, dans la Tripolitaine et des paramilitaires russes de Wagner dans l’Est.
Néanmoins, si un ministre de la Défense est désigné, l’organisation des forces armées ne sera plus du ressort du duo Mangoush-Dbeibah. Surtout si le choix du prochain ministre n’est pas influencé par l’Occident. El-Menfi pourrait se ranger du côté turc (Tripoli) comme du côté russe (Benghazi-Haftar). Selon ce placement stratégique, il pourrait aussi s’assurer le soutien turc au même titre que Dbeibah ou l’appui russe à la place de Haftar. Ce qui, pour les deux puissances, représenterait une alternative à l’un ou à l’autre pour les élections.
El-Menfi a donc réalisé un coup de maître, pendant que les autres leaders libyens étaient occupés à discuter pendant des rencontres internationales. Arrivera-t-il à saisir sa chance ? Cela dépendra de la pression de l’ONU et des prédispositions des autres forces politiques libyennes. Quoi qu’il en soit, ces premières discussions et stratégies politicienne sont les premières en vue des élections de décembre.
#Libya USAID opinion poll: Libyans support December elections (74%), don't want them delayed (64%). 69% think new unity government is step towards stability. Poll will empower diplomats to argue election timetable should be kept. https://t.co/IugeEfBAkc pic.twitter.com/4e59efQBHe
— Chris Stephen (@reportingLibya) June 23, 2021