Khalifa Haftar a effectué son premier déplacement à l’étranger depuis l’assaut sur Tripoli en 2019. En Egypte, le maréchal a tenté d’arrondir les angles avec les Américains.
A un peu plus de quatre mois d’un scrutin présidentiel toujours aussi incertain, la Libye est plus que jamais divisée. Du côté de Benghazi, le maréchal Khalifa Haftar est un allié historique de l’Egypte. Les déclarations du militaire, lundi dernier, ont remis le feu aux poudres. Dans une allocution à l’occasion du 81e anniversaire de la création de l’armée libyenne, le chef de guerre a annoncé ne dépendre « d’aucune autorité sauf celle qui sera directement élue par le peuple ». Une attaque en bonne et due forme envers le gouvernement de Tripoli. Mais le maréchal Haftar a nuancé ses propos en se disant « prêt à la paix malgré les divergences accrues de nos positions qui nous ont conduit à l’escalade ». A l’est comme au nord, ces déclarations n’ont pas manqué d’inquiéter.
A quoi joue Khalifa Haftar à quelques mois des élections ? A la fois proche de tout le monde et de personne, le chef de guerre s’est rendu, après son discours, au Caire. Une rencontre de deux jours a été prévue, entre l’allié supposé de la Russie et des Emirats arabes unis, et l’ambassadeur américain et envoyé spécial américain en Libye Richard Norland. Après sa rencontre avec Khalifa Haftar, le diplomate américain a indiqué que le maréchal « pourrait jouer un rôle dans la réunification de l’institution militaire ». Mais en coulisse, Haftar est de plus en plus vu par ses alliés comme une menace. Et le potentiel retour de Saïf al-Islam Kadhafi dans les affaires politiques libyennes n’est pas fait pour arranger la situation du militaire.
Car si Haftar pouvait compter sur le soutien russe, Moscou a régulièrement tempéré sa relation avec le maréchal. Si Saïf al-Islam Kadhafi est actif, la Russie misera certainement sur lui plutôt que sur le militaire. Avant que le fils du « Guide de la révolution libyenne » ne s’exprime quant à un possible retour politique, le « Monsieur Afrique » de Vladimir Poutine, Michael Bogdanov, avait rencontré les émissaires de Saïf al-Islam Kadhafi, dont Omar Abu Cherida. Plus tard, entre les mois de février et de mars 2021, c’est le président du Conseil libyen actuel, Mohammed el-Menfi, qui a rencontré les responsables russes à plusieurs reprises. Haftar a, de plus, perdu ses soutiens tribaux tebous, berbères, touaregs, en plus de ceux des Ouled Al-Saqr de la Tripolitaine et des Toubas à Fezzan, qui ne l’avaient jamais soutenu.
Khalifa Haftar dos au mur ?
Les soutiens de Khalifa Haftar semblent donc de plus en plus maigres. Finalement, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est aujourd’hui son unique véritable allié. Or, là aussi, la situation commence à évoluer : le chef de l’Etat égyptien a accepté de jouer les messagers en accueillant une rencontre entre Haftar et les Américains. Auparavant, il avait envoyé un message fort au maréchal en accueillant Mohammed el-Menfi pour l’inauguration de sa base militaire, pourtant proche du centre du pouvoir de Haftar. Avec une Turquie qui s’oppose ouvertement au gouvernement de Benghazi, il ne reste plus à Haftar que le soutien des Emirats arabes unis (EAU). Or, Khalifa ben Zayed Al Nahyane est proche d’al-Sissi et d’el-Menfi, et a revu sa position.
Le voyage de Khalifa Haftar en Egypte ressemble à une convocation. Il faut dire que, ces derniers mois, il a multiplié les faux-pas. Lundi, en rappelant qu’il était le commandant suprême de l’armée libyenne, Haftar a montré une nouvelle fois sa maladresse. Provocation de l’Algérie, déstabilisation du pays en pleine transition et opposition ouverte à Kadhafi… Le maréchal retraité en a trop fait pour pouvoir revenir en arrière. D’autant que des charges pour crimes contre l’humanité pèsent contre lui. S’il tombe, Haftar risque gros et il a donc tout intérêt à se positionner avant décembre. Actuellement, il reste peu d’options au militaire libyen : donner des garanties aux Etats-Unis ou se ranger du côté de Saïf al-Islam Kadhafi, dont plusieurs proches travaillent aux côtés du maréchal Haftar.
Pour le moment, c’est silence radio du côté américain. Avant d’aller à la rencontre de Haftar en Egypte, l’ambassadeur Richard Norland a appelé « les personnalités clés à user de leur influence à ce stade, pour faire ce qui est le mieux pour tous les Libyens ». Néanmoins, l’idée de Washington sur ce qui est le mieux pour le peuple libyen ne correspond pas forcément aux idéaux de Saïf al-Islam Kadhafi et de ses alliés, ni à ceux de l’Algérie, de la Russie, ni même de la Turquie, du Qatar ou des EAU. Affaibli et de plus en plus isolé, Haftar a maintenant le choix entre provoquer une nouvelle guerre ou trouver de nouveaux alliés. Et pour ce faire, il devra se ranger du côté de Tripoli ou s’allier ouvertement avec Saïf al-Islam Kadhafi.
Alors que Musa al-Koni organisait ses propres sommets dans l’Est libyen, les Frères musulmans du pays ont pris la décision de se convertir en ONG. Les intrigues politiques en Libye demeurent toutefois très complexes. #Libye #elections #Afrique https://t.co/pWL1SVPmZm
— Le Journal de l'Afrique (@LeJDAfrique) May 4, 2021