Ce dimanche, la Cour d’appel de Tripoli a validé le recours de l’ancien ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha contre la candidature à l’élection présidentielle du Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah . Quant à Khalifa Haftar, il a empêché, avec les armes, Saïf al-Islam Kadhafi de déposer un recours.
Saïf al-Islam Kadhafi est-il définitivement hors-course pour la prochaine élection présidentielle ? Et ce malgré sa tentative de recours après avoir été écarté par la Haute commission électorale nationale (HNEC). Un autre candidat voit lui aussi s’éloigner le scrutin : le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah voit ses chances de pouvoir se présenter s’amincir, après un recours en justice de l’ancien ministre de l’Intérieur, également candidat à la présidentielle, Fathi Bachagha. La Cour d’appel de Tripoli a jugé recevable ce recours, Dbeibah devrait contester celui-ci avant mercredi.
La présidentielle, théoriquement prévue le 24 décembre, se rapproche à grands pas. Mais déjà, les troubles ont débuté. Jeudi dernier, des hommes armés affiliés à l’Armée nationale libyenne (ANL) de l’homme fort de l’est libyen, Khalifa Haftar, ont encerclé le tribunal de Sebha et en ont entravé l’activité. Le même jour, l’avocat de Saïf al-Islam Kadhafi, Khaled al-Zaidi, comptait déposer un recours après la décision préalable de la Haute commission électorale nationale (HNEC) d’écarter illégalement son client de la course à l’élection.
Kadhafi définitivement exclu, et Abdel Hamid Dbeibah sur le point de voir la route vers la présidentielle barrée, il reste désormais deux candidats favoris pour le scrutin du 24 décembre prochain : Fathi Bachagha et Khalifa Haftar. Mais pour le maréchal de l’est, les problèmes ne font que commencer.
La candidature de Haftar en ballotage ?
Après que la HNEC a validé la candidature de Haftar, le parquet militaire s’est activé. Préalablement, le procureur Mohammed Gharouda avait explicitement demandé à la commission électorale de ne pas accepter l’éventuelle candidature de Haftar. Un ordre que la HNEC a tout bonnement ignoré.
Mais le procureur revient à la charge, cette fois en exigeant « l’exécution des mandats d’arrêt » contre Haftar, « pour cinq affaires entre 2019 et 2020 ». Des mandats d’arrêt qui, de fait, ne seront jamais exécutés. Cependant, on sent dans les propos du procureur une insistance du parquet à vouloir arrêter Haftar dans sa course à la présidence.
De plus, le maréchal est aussi au centre du dernier scandale des programmes espions français. L’un de ces systèmes, « Alpha Max », avait été vendu à Haftar par l’entreprise française Nexa Technologies, en dépit de l’embargo de l’ONU sur la vente de matériel militaire en Libye.
Une affaire qui devrait prendre de l’ampleur avec les quatre dirigeants français de cette entreprise et de sa filiale Amnesys mis en examen à Paris. Parmi les trois systèmes français de surveillance de pointe, dont la vente est examinée par les tribunaux français, les deux autres avaient été vendus à l’Egypte d’al-Sissi et à la Libye de Mouammar Kadhafi.
L’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) a en effet révélé la vente en 2014 du système « Cerebro » à l’armée égyptienne, et en 2007 du système « Eagle » au régime Kadhafi.
Seulement voilà, dans le cas de Haftar, non seulement la Libye est sous la coupe d’un embargo onusien. Mais en plus, la vente de ce matériel est interdite aux entités non étatiques. Ce que l’ANL de Haftar n’est pas, en termes de droit.
Aguila Salah et Fathi Bachagha sur la sellette ?
Saïf al-Islam Kadhafi et Khalifa Haftar tentent donc de se neutraliser. Désormais, l’élimination de Dbeibah de la course à la présidence actée, reste à savoir comment se déroulera l’élection… si celle-ci a lieu.
Seuls candidats visibles encore en lice : Aguila Salah Issa, le chef du parlement de Tobrouk, et l’ancien ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha. Si, d’un côté, Salah semble épargné par les Occidentaux, les sanctions le visant ayant été annulées au début de l’année, il risque encore la disqualification pour d’autres motifs. La loi électorale, promulguée par Salah lui-même, interdit la candidature des fonctionnaires de l’Etat n’ayant pas démissionné trois mois avant la date de l’élection. Reste à savoir si la proximité de Salah avec le Maroc se traduira en un lobbying visant à en faire le candidat de Benghazi, surtout avec l’influence de l’arc Maroc-Emirats-Israël sur Khalifa Haftar.
Bachagha, de son côté, est souvent désigné comme « le candidat de la Turquie », notamment pour ses liens avec la milice « Bouclier de Libye » — Libyan Shield ou Deraâ Libya. Lors de l’élection du Forum de Genève en février, qui avait permis la mise en place du couple Menfi-Dbeibah à la tête de l’exécutif libyen, Bachagha, lui, partageait son influence avec Aguila Salah. Après sa défaite auprès des délégués, à son retour en Libye, il a été la cible d’une tentative d’assassinat non loin de Tripoli, à Janzour, le pré carré des instructeurs militaires turcs.
Si la Turquie n’a pas volé à l’aide de son prétendu poulain, les Etats-Unis, eux, ont rapidement apporté « leur soutien complet à un homme dont les efforts pour mettre fin à l’influence des mercenaires étrangers sont louables », selon les mots de l’ambassadeur américain Richard Norland.
Pas sûr, donc, que Bachagha jouisse d’un réel appui à Tripoli, et la proximité entre Salah et Bachagha pourrait tout autant se manifester à nouveau dans le retrait de l’un en faveur de l’autre.