Comme les autres protagonistes de la politique en Libye, le maréchal Khalifa Haftar est l’épicentre de plusieurs paradoxes. Quel futur aura-t-il dans le cadre des mouvements actuels ? Et se présentera-t-il aux élections ?
Le commandant des armées libyennes, Khalifa Haftar, a souvent été considéré comme un renégat arriviste, comme beaucoup d’autres, par la presse. Toutefois, si l’on observe les diverses personnalités qui se sont succédés au pouvoir libyen depuis 2011, Haftar commence à prouver sa résilience.
La Libye est le pays de tous les paradoxes. Les relations internationales y sont plus tangibles qu’ailleurs en Afrique et dans le monde. C’est l’effet des conflits d’intérêts que présente la Libye. Le pays est considéré différemment par les puissances mondiales. Certains la voient comme une pompe à essence, d’autres comme la porte d’entrée de l’Afrique. Certains considèrent la Libye comme un marché d’armes et de mercenaires, et les autres y voient un point stratégique dans la guerre pour le contrôle de la méditerranée.
Selon les intérêts des uns et des autres, Haftar, el-Sarraj, Dbeibah et Menfi ont établi leurs relations avec les pays étrangers et les puissances nationales. Dans le cas de Khalifa Haftar, ces alliances ont été pour le moins curieuses. Alors que le militaire est actuellement en paix avec Tripoli, il a essayé de la conquérir il y’a moins d’un an. Haftar rallie aussi des intérêts géostratégiques organiquement antagonistes. Des pays comme l’Egypte, les Emirats arabes unis, la Russie et les Etats-Unis l’ont soutenu. Alors que leurs alliés comme ceux qui leurs sont hostiles se sont tenus aux côtés de Tripoli et des forces de l’Ouest Libyen. Des concessions ou des choix ? L’élection présidentielle du 24 décembre en dira sûrement plus.
Khalifa Haftar à la recherche de l’équilibre
Entre 2019 et 2020, les forces de l’Est de Haftar se sont battues pour s’emparer de Tripoli. Cependant les pertes du côté de l’armée libyenne comme celles du côté des milices de Tripoli, soutenues par les troupes turques, ont emmené tout le monde à la table des négociations.
Malgré cet épisode, considéré comme une défaite pour Haftar, le maréchal a prouvé son efficacité en politique. Il a su rallier à sa cause plusieurs tribus, dont celles des frontières avec l’Egypte. Surtout, il a gardé le soutien Russe de son côté. Malgré les diverses résolutions des instances internationales, plus de 25 000 paramilitaires russes soutiennent Haftar. On peut aussi compter les Toubas et les Amazighs de l’Ouest parmi ses soutiens. Cette influence auprès des tribus serait en train d’être ébranlée par les derniers pourparlers entre Haftar et Tripoli.
En marge de ces mouvements, le nouveau Gouvernement d’union nationale (GNA) d’Abdelhamid Dbeibah a essayé de rallier les deux tribus, en vain. La présence de Najla Mangoush en tant que ministre des Affaire Etrangères du GNA a entravé l’entente entre Tripoli et la chefferie. Mangoush est, en effet, considérée à la fois comme une alliée de Haftar et amie de l’Europe par les Libyens.
Entre temps, Haftar a profité de la nouvelle « légitimité » octroyée par Ján Kubiš, qui avait entamé des discussions avec le maréchal. En effet, le diplomate slovaque de l’ONU avait ouvert une voie pour les discussions entre l’Est et l’Ouest libyens lors de sa dernière visite du 30 avril. Ce que Haftar aurait utilisé pour négocier une levée des sanctions à son encontre. Son but, sans doute, serait de se présenter à l’élection après avoir été blanchi par la justice internationale des crimes de guerre dont il est accusé.
Les nouvelles allégeances des tribus en Libye
Néanmoins, il existe une troisième partie dont personne n’a tenu compte. Les tribus libyennes, qui avaient marché sur Syrte pour combattre Mouammar Kadhafi, sont restées sans leader. La chefferie locale, selon des sources du Journal de l’Afrique, se tourne de plus en plus vers les enfants de Kadhafi. Saïf al-Islam Kadhafi se serait assis avec les chefs des tribus deux jours après la mort d’Idriss Déby Itno, le président tchadien. Ce dernier essayait, avant son décès, de leur trouver une porte d’entrée au gouvernement. Or, maintenant que Déby est mort, et que Haftar ne représente plus leurs intérêts, ils se sont tournés vers leurs chefs de toujours.
Des tomes pourraient être rédigés sur les alliances fragiles entre les tribus libyennes. Toutefois, les deux tribus principales de l’Est libyen, les Ferjany dont descend Haftar, et les Qadhadhfa dont descendent les Kadhafi sont, semble-t-il, les parties esseulées. Or, après le meeting avec Saïf al-Islam Kadhafi, il semblerait que le fils du défunt leader libyen soit devenu le chef suprême des trois quarts des tribus libyennes. A savoir sa propre tribu, les Toubou, les tribus arabes, les Kabyles et les Touareg de l’Ouest. Ces tribus, combinées, fédèrent plus du tiers de la population et contrôlent près de la moitié du territoire !
Si Haftar a gardé un profil bas tout au long des pourparlers qui ont donné le nouveau GNA, c’est sans doute dans l’espoir d’imposer quelques règles après l’élection. Dans le cas où il la perdrait surtout. En effet, la Russie s’est clairement engagée aux côtés de l’armée libyenne sur le long terme. La libye représente, pour la Russie, un pied-à-terre important en Afrique du Nord et potentiellement au Sahel. A mesure que le pouvoir centrafricain devient un puissant allié de la Russie, le pays de Poutine veut rallier le Mali.
Khalifa Haftar incontournable
Pourtant, la Russie ne semble pas prendre parti dans la politique libyenne. C’est un schéma qui se répète, les russes ne s’engagent jamais économiquement avant d’avoir assuré la stabilité sécuritaire du pays. Au milieu de tout cela, Haftar est un acteur clé. Le seul point d’ombre reste la position turque.
Ce serait sans doute dans cette optique que la Russie ne fait qu’acquiescer au processus politique. Et ainsi, Haftar aussi se cherche une place sur l’échiquier tripolitain. Le maréchal a prouvé son efficacité à deux reprises. En effet, il a lancé avec succès une opération en mai 2018 pour expulser les rebelles de Derna, dans l’Est. Suivie d’une autre offensive en 2019 dans le Sud, riche en pétrole. Haftar a ensuite assuré le retour de la compagnie pétrolière nationale et le transport privé vers les ports libyens. Il a enfin permis le retour de circulation entre les deux ports méditerranéens en eau profonde, au grand bonheur des Américains et de l’ONU.
Les diplomates européens tiennent compte de ce rôle de Haftar. L’Union européenne a longtemps averti qu’il deviendrait un élément volatile dans une Libye qui cherche la stabilité si on l’exclut du processus politique. Selon l’analyste de l’observatoire Verisk Maplecroft, Hamish Kinnear, Haftar se présentera sûrement aux élections présidentielle et législative. Le spécialiste considère que Haftar n’a plus autant de pouvoir qu’il y a un an, et qu’il serait « prêt à tout pour avoir un siège à Tripoli ».