Ce mardi, la France a annoncé la réduction du nombre de visas octroyés aux Algériens, Marocains et Tunisiens. Paris affirme ainsi vouloir sanctionner le Maghreb. Explications.
Emmanuel Macron met de plus en plus la pression sur les pays d’Afrique du Nord. A six mois de la présidentielle, la question migratoire est un sujet qui revient régulièrement dans le débat. Le président français sortant, qui briguera un second mandat, a déjà débuté sa campagne électorale. Avec une mesure forte, mais qui risque bien de faire des étincelles.
Les ressortissants maghrébins, qui devaient déjà suivre un parcours du combattant pour obtenir des visas de la part de la France, verront le quota de visas qui leur est dédié être réduit. « C’est une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France », affirme Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement français.
Paris reproche à Alger, Tunis et Rabat de faire obstruction quand la France lance des procédures d’expulsions. Gabriel Attal explique clairement qu’il met une « menace à exécution ». Les mots sont extrêmement durs. Et ils provoquent l’incompréhension au Maghreb, où les populations ont vu les demandes de visas être considérablement réduites ces dernières années. Lors du premier semestre 2021, seuls 31 500 visas ont été délivrés pour les Algériens, les Tunisiens et les Marocains, contre plus de 700 000 pour l’année 2019.
Or, ce matin, le porte-parole du gouvernement français a annoncé que le Quai d’Orsay diviserait par deux le nombre de visas délivrés aux Maghrébins.
Opportunisme électoral
La décision d’Emmanuel Macron s’explique, selon des sources proches de la présidence, par une baisse des chiffres des expulsions d’immigrés maghrébins illégaux ou dont les documents ne sont plus valables. Depuis trois ans, la France a pris l’habitude d’organiser des vols d’expulsion pour des dizaines d’immigrés. Une pratique pourtant jugée illégale, si l’on en croit la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule que « les expulsions collectives d’étrangers sont interdites ».
Si d’autres pays européens, comme l’Allemagne, ont décidé de canaliser les flux migratoires en investissant dans les industries lourdes et l’éducation, afin de profiter du capital humain, la France, elle, a opté pour une politique largement dictée par l’extrême droite.
Fin 2019, Emmanuel Macron avait exhorté les cadres de son gouvernement à regarder « en face » les enjeux de l’immigration. Le président français, « clairement, s’engage dans la campagne présidentielle », avait fustigé Marine Le Pen qui parlait alors d’opportunisme politique. Alors que la présidentielle aura lieu en avril 2022, Macron semble vouloir frapper fort, au détriment de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc.
Réciprocité : le manque de courage du Maroc et de la Tunisie
L’immigration est devenue un outil politique de premier ordre. On se souvient des tensions entre Rabat et Madrid à ce sujet. L’octroi de visas est également une menace que la France fait peser sur les différents pays. Avec environ 60 % à 65 % d’acceptation de visas en 2020 pour les Algériens, les Marocains et les Tunisiens qui avaient fait la demande, Paris devrait se faire des ennemis outre-Méditerranée. D’autant que la politique française dans ce domaine est critiquable : Paris fait appel à des sociétés privées — comme TLScontact — pour gérer les demandes, fait payer des sommes exorbitantes aux demandeurs et exige des garanties solides en demandant par exemples des extraits de compte bancaires.
Et si dans les faits, les demandes d’octroi de visa sont majoritairement acceptées, en réalité, les statistiques montrent que la politique française est stricte : seuls 4,3 % des visas octroyés sont des visas de long séjour et 83 % de ces derniers sont des visas de travail ou d’études. Si la Tunisie et le Maroc se sont toujours accommodés des conditions françaises, aussi scandaleuses soient-elles, l’Algérie a, elle, décidé d’appliquer la réciprocité et d’obliger les Français à demander un visa pour se rendre à Alger.
Face à la décision d’Emmanuel Macron, d’autres pays suivront-ils l’exemple algérien ? Pendant la pandémie, plusieurs pays africains, comme le Gabon, avaient décidé d’appliquer la réciprocité en refusant d’accueillir des touristes européens. En Tunisie, le président Kaïs Saïed pourrait-il suivre Alger et prendre la décision d’imposer un visa aux Français ? La tourisme, sur place, n’est plus une source de revenus suffisante et le chef de l’Etat tunisien a multiplié, ces dernières semaines, les discours sur la souveraineté de la Tunisie. En juin 2020, à propos du passé colonial de son pays, il avait affirmé : « Les Tunisiens ont droit à des excuses dont la seule formulation ne serait pas suffisante ». Kaïs Saïed demandait alors des actes. La décision d’Emmanuel Macron montre que la France agit toujours dans son intérêt.