Kabila, Gnassingbé, Bongo, Déby… De nombreux chefs d’Etat africains accèdent au pouvoir par voie de succession. Pour certains, il s’agit d’une astreinte inhérente à la délicatesse des affaires politiques en Afrique. Pour d’autres, d’une dissidence à la démocratie et un affront à la loi.
Depuis des années maintenant, les enfants des dirigeants africains ont des prédispositions pour le pouvoir. Succéder à leurs pères respectifs est devenu un sport continental. En Occident, la critique pointe du doigt cette fausse alternance, qui ne respecte pas toujours l’esprit des Constitutions nationales. En Afrique, certains plaident cependant en faveur de ces successions, affirmant que cette dynamique répond à une réalité africaine que les Occidentaux ne comprennent pas.
En effet, le maintien des équilibres politiques et sociaux des pays dépend bien souvent des appartenances ethniques, et relève du rôle de chef de l’Etat. Un président a un rôle d’éponge, il doit composer entre les tensions internes et la pression internationale sur son pays. En Afrique, encore plus qu’ailleurs.
Néanmoins, l’alternance politique est un totem difficile à désacraliser aux yeux du monde. Depuis le plébiscite du régime républicain en Afrique subsaharienne, datant des premières indépendances de 1960, le terme de « démocratie » a été le mot d’ordre des constitutions post-coloniales africaines. Mais qu’en-est il de cette démocratie en 2021 ? Il est évident, si on en croit la sémantique des médias occidentaux, que l’alternance politique en Afrique ne peut être garantie par la succession d’un fils à son père. Les médias écrivent abusivement que cette « mode des fils » est un phénomène africain. Mais « ce phénomène de ‘dynasties politiques’ et de succession héréditaire du pouvoir n’est pourtant ni spécifique à l’Afrique ni nouveau : il s’observe aussi bien en Amérique du Nord et du Sud, qu’en Europe, en Asie et dans le monde arabe », écrit la politologue Marie Brossier.
Joseph Kabila, des secrets en veux-tu, en voilà
La première « dynastie républicaine » a été l’œuvre de Joseph Kabila en République démocratique du Congo (RDC). Lorsque Kabila est devenu officiellement président en 2003, il n’avait que 31 ans. Personne n’a remis en cause son expérience ou sa capacité, ou presque. L’opposition congolaise avait dénoncé le coup d’Etat qu’il aurait, selon certains, mené contre son propre père.
Laurent-Désiré Kabila a été assassiné par un membre de sa garde, qui a été tué peu de temps après. Le jeune Joseph Kabila a été désigné comme chef du gouvernement de transition entre 2001 et 2006, date de l’élection présidentielle qu’il a remportée.
Joseph Kabila est resté au pouvoir jusqu’en 2019, et aujourd’hui encore, il maintient une grande influence sur la politique et l’économie congolaises. On estime le nombre de ses entreprises à 68, et il possède 113 permis d’exploitation minière des principales matières premières du pays. Une dynastie politique autant qu’économique, donc.
Le doyen du Togo
Faure Gnassingbé est, lui, devenu le président du Togo en 2005, à la suite du décès de son père, au pouvoir depuis 1967. La Constitution togolaise prévoyait la présidence par intérim en faveur du président du Parlement. Ce poste, à l’époque occupé par Natchaba, n’avait aucune légitimité pour l’armée, et Faure est devenu le successeur de son père.
Fambaré Ouattara Natchaba se trouvait alors à l’étranger. Faure Gnassingbé a été nommé président à sa place, avec l’appui de l’armée togolaise. Afin de légaliser la situation, le parlement a démis Natchaba. Un amendement à la Constitution a aussi supprimé la contrainte de durée de deux mois qui incombait au président par intérim. De quoi boucler la boucle et lancer la carrière d’un Faure qui s’attendait à régner un jour sur son pays.
La durée du mandat de Faure Gnassingbé a été fixée à une durée de cinq ans, comprenant la fin du dernier mandat de son père. Il a ensuite été réélu en 2005, 2010, 2015 et en 2020. Les tensions post-électorales sont devenues de moins en moins sanglantes, il semblerait même que la résignation domine la scène politique togolaise.
Au Gabon, les Bongo de père en petit-fils ?
Au Gabon, après le décès d’Omar Bongo, son fils Ali Bongo Ondimba a été élu en 2009. L’investiture d’Ali Bongo a été adoubée par l’élite politique gabonaise et la diplomatie française, entre autres, afin de garantir la stabilité du régime, selon des responsables français.
Néanmoins, Ali Bongo a maintes fois expliqué vouloir imposer des changements radicaux à la dynamique socio-économique de son pays. Tout compte fait, sa politique contraste avec celle d’Omar Bongo. Certains chantiers industriels d’exportation de matières premières font partie des meilleurs d’Afrique en termes de gains par concession. Il a aussi beaucoup investi dans l’aménagement du réseau routier vers les zones industrielles. Sa promotion de l’agriculture et de l’économie verte n’a cependant pas connu de réussite, l’autosuffisance alimentaire qu’il avait promise est loin d’être atteinte et la crédibilité de sa croisade écologique a du plomb dans l’aile.
En 2018, Ali Bongo a subi un accident vasculaire cérébral. Et malgré ses nombreuses apparitions où il affirme être en bonne santé, sa présidence de 12 ans semble être proche de la fin. Bongo prépare actuellement Nourredine Bongo… son fils.
El General, au nom de la continuité de l’Etat tchadien
Le dernier exemple en date de « dynastie républicaine » en Afrique est celui de Mahamat « Kaka » Idriss Déby, fils du défunt président tchadien Idriss Déby Itno. Quelques heures après la mort du président du Tchad, au pouvoir depuis 32 ans, un conseil militaire avait déjà suspendu le gouvernement, le parlement et la constitution. Mahamat Idriss Déby a été nommé président du Conseil militaire de transition (CMT) tchadien.
Cette nomination, qui ressemblerait à un coup d’Etat constitutionnel et probablement militaire, a toutefois obtenu l’aval de la communauté internationale et des voisins immédiats du Tchad. Les deux raisons évoquées ont été la continuité de la guerre anti-terroriste menée par la France et les Etats-Unis en Afrique subsaharienne, ainsi que la rébellion en cours au Tchad. Le FACT, le groupe armé qui a tué Idriss Déby, est toujours présent au Tchad. Et son offre de trêve a été refusée par le CMT.
La violation de la constitution, elle, a été justifiée par « la défense du Tchad contre le terrorisme et les forces du mal, et la garantie de la continuité de l’Etat », a déclaré le CMT. Une formule qui incarne à elle seule l’installation des nouvelles dynasties républicaines en Afrique.
Teodorín Obiang : César ou Iznogoud ?
Le futur de la Guinée équatoriale, lui, est incarné dans Teodorín Obiang, fils du président Teodoro Obiang Nguema, au pouvoir depuis 1979. Teodorín, lui, n’est encore « que » vice-président. Cependant, personne d’autre en Guinée ne pourrait être défini comme le dauphin incontournable de la plus longue et la plus controversée présidence en Afrique.
En effet, le président Obiang détient le record mondial et historique du plus ancien président d’une République. C’est ce paradigme qui fait de son éventuelle succession par Teodorín une affaire hautement litigieuse. Au contraire de Bongo, ou même de Mahamat Déby, le fils Obiang n’a actuellement à son actif qu’une longue liste d’accusations de corruption.
L’affaire des « biens mal acquis » a fait couler beaucoup d’encre. Le niveau de vie luxueux, les dépenses démesurées et les nombreux reportages sur les accusations qui collent à Teodorín l’ont placé sous les projecteurs. En tant que vice-président, le fils du président Obiang a accompli très peu de choses. Réussira-t-il à perpétuer la dynastie Obiang dans le futur ?