Après un accueil triomphal de Charles Michel à Kinshasa, le président Tshisekedi a pris la décision de déclarer l’état de siège en RDC. À la suite du premier conseil des ministres du nouveau gouvernement, cette décision soulève des questions.
Les évènements se succèdent dans la République démocratique du Congo (RDC). Le président Félix Tshisekedi a reçu depuis jeudi le président du Conseil européen, Charles Michel. Deux jours plus tard, il a pris la décision de passer de la passivité, à l’état de siège. La mesure concernera deux régions de l’Est congolais, à savoir l’Ituri et le Nord-Kivu.
D’abord, le président congolais, aussi président de l’Union africaine (UA), a suscité l’amusement de la classe politique en RDC. L’accueil démesuré qu’il a réservé à Michel a fait jaser jusqu’au prix Nobel Denis Mukwege. Ce dernier a appelé Tshisekedi à tacler « l’impunité des auteurs présumés des crimes qui déstabilisent le pays depuis 30 ans ». Ensuite, c’était le président du Conseil européen qui a tweeté sur les objectifs de sa visite surprise en RDC. Selon Michel, le partenariat entre la RDC et l’Europe doit porter sur la santé, l’éducation et la sécurité. Il est tout autant remarquable que cette visite imprévue de Michel arrive quelques jours après un évènement d’envergure.
En effet, la major française des hydrocarbures Total a décidé de suspendre son projet gazier de 20 milliards de dollars au Mozambique. Le groupe pétrolier planifie une entreprise plus grande encore entre l’Ouganda et la Tanzanie. La construction du pipeline démarrera sur la frontière entre l’Ouganda et la RDC. Le territoire en question est menacé par l’insurrection des milices des Forces Démocratiques Alliées (ADF) et des Bakata Katanga, entre autres.
L’Europe et Total, entrisme systématique
Donc, le président de la RDC fait face à un casse-tête aux enjeux multiples. Après ses récents échecs au niveau africain, il doit composer avec une Europe impatiente et vorace. Ce n’est un secret pour personne que les intérêts politiques et économiques européens convergent. Il est encore plus vraisemblable que les lobbys des entreprises pétrolières et gazières soient influente lorsqu’il s’agit de la diplomatie européenne en Afrique.
Effectivement, préalablement à la visite de Michel en RDC et la décision d’état de siège de Tshisekedi, la Commission européenne s’est réunie lundi. A l’ordre du jour, l’humiliation d’Ursula von der Leyen en Turquie, appelée « Sofagate ». Néanmoins, le premier déplacement postérieur de Charles Michel a été en RDC. Selon plusieurs analystes, la manœuvre discrète de la Commission européenne aurait trois buts.
Premièrement, Michel réglerait un souci interne avec von der Leyen, en contrepartie d’un service rendu à Total. La présidente de la Commission européenne est proche de Macron et de Merkel, et la prospérité de Total signifie celle de l’Europe au niveau des hydrocarbures.
Deuxièmement, la répression de la menace insurrectionnelle dans l’Est de la RDC établirait de nouvelles connexions entre l’Europe et Tshisekedi. Ce qui offrirait une alternative pour l’Europe dans le partenariat militaire antiterroriste en Afrique. C’est là un besoin pressant, surtout depuis que le Tchad a été ébranlé par le décès du partenaire principal de la France, Idriss Déby Itno.
Troisièmement, Félix Tshisekedi désamorcerait les fiefs de l’insurrection armée, ce qui a un double enjeu pour lui. Tshisekedi cherche encore à se racheter pour l’assassinat de l’ambassadeur italien en RDC. En plus, l’opposition en RDC s’appuie sur les milices de l’Est pour les ressources et pour donner du poids à ses revendications politiques.
Kabila, la MONUSCO et la poudrière congolaise
Néanmoins, le président Tshisekedi considère encore d’autres enjeux dans cette déclaration de guerre contre l’ADF-Nalu et Bakata Katanga. En effet, la Mission de l’ONU en RDC (MONUSCO) s’est montrée inefficace. Plusieurs Casques bleus ont été rapatriés pour des accusations de trafic d’armes, de contrebande de minéraux et autres exactions.
De plus, l’Etat congolais pourrait recevoir jusqu’à 600 millions de dollars par an pour la protection des ONG humanitaires actives au Nord-Kivu seulement. Les instances internationales versent le double de cette somme à la MONUSCO annuellement. Enfin, la paix dans l’Est RD-congolais vaudrait à elle seule une victoire pour Tshisekedi. Les crimes des milices du Nord-Kivu endommagent depuis des années l’image du pays. Et rallier l’Est au gouvernement central est un rêve que le parti au pouvoir, l’UDPS, entretient depuis toujours. Le parti de l’ex-président Joseph Kabila aurait de bonnes relations avec les insurgés, grâce auxquelles Kabila maintient ses entreprises minières à flot. Nuire à cette dynamique permettrait à Tshisekedi de diriger le pays sans avoir à traiter avec le FCC de Kabila.
Cependant, il est incertain que l’armée congolaise arrive à elle seule à libérer le Nord-Kivu. D’énormes ressources ont déjà été mobilisées pour cette fin, en vain. Enfin, Kabila est encore influent sur l’armée et les renseignements de la RDC. C’est donc une guerre sur tous les fronts, et non seulement une opération militaire, que Tshisekedi vient d’entamer.