La France a perdu, ces dernières décennies, de son influence en Afrique. La Faute à une diplomatie fondée exclusivement sur les intérêts de l’Hexagone et à une arrogance dont Paris a du mal à se défaire.
« A Paris, on ne doute jamais des dossiers africains. On sait. Du sommet de l’Etat aux assistants techniques, on est plus souvent en position de donner des leçons que d’apprendre ». Cette phrase est tirée du livre d’Antoine Glaser, « Arrogant comme un Français en Afrique », sorti en 2016, et montre à quel point les dirigeants français sont hors-sol lorsqu’il s’agit des dossiers africains. Cinq ans plus tard, la France donneuse de leçons semble ne pas avoir revu sa copie. Fin 2020, Mediapart dénonçait « une diplomatie fondée sur des préoccupations sécuritaires et économiques, silencieuse lorsqu’il s’agit de défendre les droits humains ». Le pays des Lumières est en panne : quelles leçons peut encore oser donner la France, elle qui aurait plutôt besoin d’électriciens tant ses « lumières » sont aujourd’hui éteintes ?
En réalité, cela fait déjà plusieurs décennies que la France n’a plus de pays des droits de l’Homme que le nom. Et l’arrogance de Paris ne s’est en rien arrangée. La France « a été pseudo-humanitaire au Biafra, tragicomique en Centrafrique sous Bokassa, dramatique avec le génocide rwandais, pathétique en Côte-d’Ivoire et même sous le mandat des Nations unies, inconséquente en Libye, désespérément seule au Mali. Et, c’est toujours la présomption de connaître la situation et les hommes qui la pousse à la faute », résume très justement Glaser. Sans oublier la proposition de Michèle Alliot-Marie d’envoyer des compagnies de CRS en Tunisie pour réprimer les révolutionnaires en 2011, se mettant ainsi à dos une jeunesse qui attendait un minimum de soutien.
Une realpolitik qui s’appuie sur la défense des intérêts français
C’est un fait : la France ne peut plus donner de leçons au monde quand, sur son propre sol, Emmanuel Macron est lui-même critiqué pour son peu de considération pour les droits de l’Homme. L’interdiction des manifestations pro-palestiniennes ces derniers jours montre davantage que Paris n’est plus le chantre des droits de l’Homme. Et le silence de l’Elysée face au génocide des Rohingyas, puis dernièrement face à la répression des Ouïghours en Chine a fini de mettre fin à cette image de pays des Lumières. Emmanuel Macron est, sur le continent, en train de recréer les fondations de la Françafrique, en s’appuyant sur une realpolitik de plus en plus assumée, qui s’appuie autant sur des besoins sécuritaires que sur la défense des intérêts français sur le continent.
Cependant, Paris dispose toujours d’une certaine force de persuasion. Notamment grâce à un droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU ou encore en conditionnant ses distributions d’aides financières. Du coup, la France a sa propre échelle de fréquentabilité et distribue les bons et les mauvais points aux dirigeants africains, qu’elle considère tantôt comme des dictateurs, tantôt comme des alliés. Le président français n’hésite d’ailleurs pas à convoquer — plutôt que d’inviter — les chefs d’Etat africains sur le parvis de l’Elysée. La France a appris l’art de tricoter les pensées politiques en fonction de ses intérêts, faisant d’Idriss Déby son chouchou, quitte à en oublier ses décennies de dictatures, et blacklistant Faure Gnassingbé, finalement réhabilité pour les besoin du drapeau bleu-blanc-rouge.
Le Drian, avocat préféré des dictateurs africains
Outre la cellule africaine de l’Elysée, la France peut d’ailleurs compter sur l’expertise de Jean-Yves Le Drian, qui est devenu l’avocat des dictateurs africains, à l’instar de Paul Biya qui avait décoré le ministre des Affaires étrangères fin 2019. Les soutiens successifs à Ismaïl Omar Guelleh, Idriss Déby ou encore Ali Bongo ont été conditionnés par une coopération militaire et sécuritaire entre Paris et les capitales africaines. Des alliances de circonstance, mais surtout fluctuantes au gré de l’actualité. Le Gabon, par exemple, tente aujourd’hui de rallier le Commonwealth et semble ne plus vouloir jouer au jeu des chaises musicales avec la France.
Cette diplomatie de soutien à des dictatures est d’ailleurs presque assumée par Paris. Bien que les forces armées de plusieurs pays s’en prennent aux civils, la France continue de coopérer militairement avec ces pays. « Est-il admissible de continuer à délivrer des formations et des armes depuis des décennies à des forces armées dont les méthodes habituelles reposent sur la répression ? », demandaient déjà en 2016 des associations et des personnalités de la société civile. Les diplomates français n’ont que faire de la situation des populations dans certains pays africains, tant que Paris y trouve des intérêts, qu’ils soient militaires ou économique.
La France n’est plus à la page
D’autant que la France commet de nombreuses erreurs, qui valent parfois très cher. Comme lorsque Paris a assuré Ben Ali de son soutien début 2011. Ou quand Emmanuel Macron a appelé Ibrahim Boubacar Kéita, président du Mali, quelques heures avant que ce dernier soit écarté par les militaires et emprisonné, là encore pour lui assurer du soutien de Paris. La France semble ne plus être à la page en Afrique, et le sentiment anti-Français grandit partout sur le continent. Surtout lorsque Paris estime, sans sourciller, que l’Afrique est sa base arrière. « Le Sahel est la frontière sud de l’Hexagone », déclarait il y a peu Jean-Yves Le Drian, alors que les Maliens remettent de plus en plus en cause la présence militaire française sur leur sol.
Conséquence : l’Afrique s’éloigne peu à peu de la France. L’Afrique francophone, à l’instar du Gabon et du Rwanda bien avant lui, n’est plus le pré carré de Paris. La faute à une diplomatie basée exclusivement sur la sécurité et sur les intérêts français en Afrique. Mais également à une incompétence désormais flagrante : les gouvernants français ne comprennent plus les enjeux qui se jouent en Afrique, et ce n’est pas Franck Paris, le « Monsieur Afrique » de l’Elysée, qui y changera quoi que ce soit. D’autant que l’arrogance des Français en Afrique, que déplorait Antoine Glaser en 2016, est toujours omniprésente.
Paris est à côté de la plaque et ne comprend même plus les enjeux qui se jouent en Algérie, en Tunisie ou encore au Sénégal, où le sentiment anti-Français croît année après année. Car l’Afrique, ce ne sont pas seulement ses dirigeants. Et les nouvelles générations sont conscientes du jeu de dupes proposé par Paris. Si bien que la Russie, la Chine et le Royaume-Uni ont le champ libre sur le continent. Grâce notamment à ce que la militante altermondialiste Aminata Dramane Traoré définit comme « l’arrivée à maturité d’une génération qui ne se sent pas concernée par ce que la France a pu représenter pour ses aînés » et « qui regarde de moins en moins vers elle ».