Le procureur de la République ivoirienne a lancé une enquête pour déterminer les responsabilités dans les violences pré et post-électorales de 2020. Le président Ouattara peut-il être inquiété ?
4 décembre 2010. La Côte d’Ivoire connaît une situation inédite. Déclaré vainqueur deux jours plus tôt, Alassane Ouattara prête serment. Dans le même temps, Laurent Gagbo, dont la victoire a été annoncée par le Conseil constitutionnel, lui emboîte le pas. La Côte d’Ivoire a deux présidents. Acculé par la communauté internationale, Laurent Gbagbo se terre alors dans sa résidence. Il ne sera délogé par les forces de l’ordre qu’en avril 2011.
Pendant toute cette période post-électorale, la Côte d’Ivoire sera soumise à de nombreuses violences. Gbagbo, lui, finira devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, accusé, entre autres, de « crimes contre l’humanité ». A l’époque, Amnesty International tentait de comprendre comment le clan Ouattara avait pu ne pas être inquiété par le tribunal international.
« Tous les responsables présumés de ces crimes graves, dont les sympathisants du président en exercice Alassane Ouattara, doivent être amenés à rendre des comptes dans le cadre de procès équitables. C’est la seule façon de garantir que justice soit faite pour les centaines de victimes », écrivait l’ONG qui se demandait pourquoi « les enquêtes de cette instance sur les crimes perpétrés par les sympathisants du président Ouattara » prenaient autant de retard, « en raison des ressources limitées mises à la disposition du Bureau du procureur par les Etats parties à la CPI ». Ouattara ne sera finalement jamais inquiété par la CPI.
Des dizaines de mort après le scrutin du 31 octobre 2020
Lors de la campagne électorale de 2020, la communauté internationale a longtemps eu la crainte de nouvelles violences post-électorales en Côte d’Ivoire. En réalité, ces violences ont débuté avant le scrutin du 31 octobre. Et elles se sont poursuivies en novembre et décembre 2020. En tout, plus de 50 personnes ont été tuées depuis le scrutin. Le pouvoir a, de plus, arrêté une dizaine de leaders de l’opposition.
Là encore, le pouvoir en place n’est pas exempt de tout reproche. Une unité spéciale, dirigée par le procureur de la République, Richard Adou, est chargée d’enquêter sur les violences commises en 2020 à Daoukro, fief de l’opposition, à Bongouanou et M’Batto. En février, des équipes de l’unité se sont rendues dans les trois villages pour déterminer ce qui s’était passé lors de violences entre partisans de l’opposition — PDCI-RDA et FPI notamment — et partisans du RHDP, le parti au pouvoir.
Les « microbes », une milice à la solde du pouvoir ?
Selon nos sources, en septembre 2020, une enquête interne a été menée au sein du PDCI-RDA, le parti d’Henri Konan-Bédié. Les militants de la formation avaient alors constitué un dossier étoffé pour alerter l’opinion publique sur les dérives du clan Ouattara. Dans la ligne de mire du parti d’opposition, les « microbes » qui attisaient les tensions dans les fiefs des partis de Gbagbo et de HKB.
Qui sont ces fameux « microbes » ? Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), assure que « ce sont des gens qui n’appartenant ni à la police ni à la gendarmerie, souvent des ex-rebelles qui n’ont pas été intégrés dans l’armée ». Plus grave, l’opposant politique assure que « le pouvoir les encadre et les utilise, comme des escadrons de la mort, pour de sales besognes ».
Autrement dit, les « microbes » constituent des milices à la solde du président. Outre les trois villages cités dans l’enquête, les communes de Bonoua et Dabou auraient également été prises d’assaut par ces criminels. Avant le scrutin présidentiel d’octobre dernier, une soixantaine de morts et plusieurs centaines de blessés avaient été recensés. Il sera cependant très difficile pour le procureur Richard Adou, allié d’Alassane Ouattara, d’établir un lien entre le régime en place et les « microbes ».