Madagascar et, plus récemment, le Cameroun ont annoncé la production de remèdes anti-Covid issus de la pharmacopée traditionnelle africaine. Des médicaments efficaces ou sans avenir ?
En Afrique, face à la pénurie de vaccins, plusieurs pays ont trouvé des solutions. Il y a un peu plus d’un an, le président malgache Andry Rajoelina annonçait la production d’un remède miracle : Covid-Organics, une boisson décoction à base d’artemisia. Le chef de l’Etat espérait alors qu’il s’agirait d’un « remède africain » et que la boisson suffirait à venir à bout de la pandémie de Covid-19. Problème : peu de temps après cette annonce, les contaminations ont grimpé en flèche. En octobre dernier, Rajoelina lançait un nouveau projet : une gélule baptisée CVO+, produite par Pharmalagasy, toujours à base d’artemisia et censée « guérir le paludisme, la dengue et le Covid-19 ». Mais sans grand espoir : plusieurs pays avaient reçu des livraisons de Covid-Organics et n’avaient pas été vraiment convaincus par son efficacité.
Cette fois, c’est au tour du Cameroun de lancer son propre remède. Le président Paul Biya avait décidé d’encourager « les efforts visant à mettre au point un traitement endogène ». Un cardiologue camerounais, Euloge Yiagnigni Mfopou, aurait mis au point un « médicament traditionnel amélioré », qui est en réalité une poudre sèche de thym. En ce début du mois de juillet, les autorités compétentes ont donné leur aval à la commercialisation du produit, qui se veut être un « adjuvant au traitement de la Covid-19 », selon le ministre camerounais de la Santé publique. Le Corocur connaîtra-t-il le même destin que la boisson malgache ou prouvera-t-il son efficacité ?
L’OMS ne s’oppose pas à la pharmacopée traditionnelle africaine
La pharmacopée traditionnelle africaine a en tout cas le vent en poupe. Mais cela inquiète les organisations internationales, qui craignent que les populations se tournent vers des produits naturels mais peu efficaces. En mai dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirmait qu’elle « soutient une médecine traditionnelle reposant sur des éléments scientifiques probants ». Une déclaration aussi positive que négative. Car en réalité, si l’OMS affirme accueillir « favorablement les innovations à travers le monde, y compris le recyclage des médicaments, des produits issus de la pharmacopée traditionnelle et la mise au point de nouvelles thérapies dans le cadre de la recherche de traitements potentiels » de la Covid-19, l’organisation a voulu mettre le holà sur ces initiatives.
Certes, indique-t-elle dans un communiqué, « l’OMS reconnaît que la médecine traditionnelle, complémentaire et alternative recèle de nombreux bienfaits » et que « l’Afrique a d’ailleurs une longue histoire de médecine traditionnelle et de tradipraticiens de santé qui jouent un rôle important dans les soins des populations ». L’instance sanitaire estime d’ailleurs que l’artemisia annua pourrait être prise en tant que base d’un traitement anti-Covid. Mais, nuance l’OMS, « des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables. Les Africains méritent d’utiliser des médicaments testés selon les normes qui s’appliquent aux médicaments fabriqués pour les populations du reste du monde ».
Outre l’inefficacité des traitements naturels, comme le Covid-Organics, l’OMS préconise en effet des « essais cliniques rigoureux ». Or, la décoction malgache n’a pas vraiment suivi le processus habituel et Andry Rajoelina a préféré miser sur le sentiment africain pour mettre en avant sa boisson. « Le problème du Covid-Organics, c’est qu’il vient d’Afrique », rétorquait-il aux médecins qui l’attaquaient. Sauf que les chiffres des contaminations n’ont pas été à l’avantage de Madagascar.
89 produits issus de la pharmacopée traditionnelle mis sur le marché
En 2000, les ministres africains de la Santé avaient adopté, au cours de la cinquantième session du Comité régional de l’OMS pour l’Afrique, « une résolution sur la médecine traditionnelle dans laquelle les Etats Membres étaient invités à générer des données factuelles sur la sécurité, l’efficacité et la qualité de la médecine traditionnelle ». Ces pays, indique l’OMS, avaient été priés de se conformer « aux normes internationales, qui préconisent notamment que le produit suive un protocole de recherche strict et soit soumis à des tests, ainsi qu’à des essais cliniques ».
En autorisant la commercialisation du Corocur et de la boisson Covid-Organics, le Cameroun et Madagascar n’ont pas respecté cet engagement. Ce qui ne signifie pas pour autant que la pharmacopée traditionnelle n’a pas sa place dans les pharmacies africaines. L’OMS rappelle en effet qu’elle « œuvre de concert avec les instituts de recherche pour sélectionner les produits issus de la pharmacopée traditionnelle sur lesquels des investigations peuvent être menées afin de déterminer leur efficacité clinique et leur innocuité dans le traitement de la Covid-19 ». En tout, l’organisation mondiale a soutenu des essais cliniques qui ont « amené 14 pays à délivrer des autorisations de mise sur le marché de 89 produits issus de la pharmacopée traditionnelle ». Des remèdes contre le paludisme, les infections opportunistes liées au VIH, le diabète ou encore l’hypertension. Jusqu’à aujourd’hui, aucun médicament naturel contre la Covid-19 n’a répondu aux critères de l’OMS.