En intervenant dans la crise malienne, la CEDEAO montre qu’elle est de plus en plus politique. Depuis les années 1990, l’organisation a étendu ses prérogatives.
Ce dimanche, les membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis en sommet pour suspendre l’adhésion du Mali jusqu’en février 2022, date limite pour l’organisation d’élections. Depuis le coup d’Etat d’août 2020, la CEDEO est partie prenante des négociations avec la junte militaire malienne. Alors qu’elle a été initialement créée pour promouvoir l’intégration économique de ses membres, la CEDEAO a, de plus en plus, un rôle diplomatique. Au Mali, mais également en Guinée, en Guinée Bissau ou encore au Burkina Faso, l’instance internationale s’est donnée pour mission de résoudre les conflits et crises politiques dans la sous-région ouest-africaine.
Il faut dire qu’au-delà de l’économie, la CEDEAO s’est dotée d’outils diplomatiques : en 1999, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a en effet adopté un « Protocole relatif au mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité ». Celui-ci est, indique la CEDEAO, « destiné à assurer la sécurité et la paix collectives ». A cet instrument vient s’ajouter le « Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance » qui, lui, a été adopté en décembre 2001 et qui doit permettre l’institution d’« influencer positivement les développements politiques et sécuritaires » des Etats membres.
Quelques échecs…
La CEDEAO, dont la mission première était de mettre en place une union économique et monétaire ouest-africaine forte, nomme donc de plus en plus de représentants spéciaux et de médiateurs dans ses Etats membres, lors de conflits, de coups d’Etat ou même simplement lors de scrutins présidentiels. Ces dernières années, elle ne s’est pas privée d’effectuer des déclarations publiques sur les violations des droits de l’Homme commises par les forces armées dans plusieurs pays.
En 2015, au Burkina Faso, une tentative de coup d’Etat plonge le pays dans une crise politique grave. Quatre jours après le coup d’Etat, la CEDEAO propose un accord de sortie de crise, qui aboutit au retour du président intérimaire Michel Kafando. Un accord qui prévoit également, pour les élections, l’autorisation pour les partisans du président déchu Blaise Compaoré de participer, alors qu’ils avaient été exclus par l’Assemblée nationale, ainsi que l’amnistie des putschistes. Le document proposé par la CEDEAO fait un tollé auprès d’une opposition qui se demande comment un tel accord a pu être proposé.
Des échecs, la CEDEAO en a connus… Au Mali, en 2020, plusieurs émissaires se rendent tour à tour sur place. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest proposent un plan de sortie de crise au mouvement de contestation malien, le M5-RFP. Comme au Burkina quelques années auparavant, la CEDEAO a en effet tenté de faire revenir Keïta au pouvoir. Mais « les propositions de solutions de la mission de la CEDEAO ne correspondent absolument pas aux aspirations et attentes exprimées par le M5-RFP et portées par l’écrasante majorité du peuple malien », rétorque le mouvement d’opposition. La feuille de route de la CEDEA ne sera jamais adoptée et la mission conduite par l’ancien président du Nigeria Goodluck Jonathan n’aura aucun effet.
… et des réussites
Mais tout n’est pas à jeter à la poubelle, dans les actions diplomatiques de la CEDEAO. En Guinée, alors qu’un coup d’Etat a lieu en décembre 2008, la CEDEAO entre en jeu. L’institution devient alors « le moteur de l’action politique de la communauté internationale en Guinée », écrit le Dr. Gilles Olakounlé Yabi, de la Fondation Friedrich Ebert, dans un rapport consacré au rôle de la CEDEAO dans la gestion des crises politiques et des conflits. Pendant la crise de janvier et février 2007, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest avait déjà proposé une médiation. Au moment du coup d’Etat de décembre 2008, la CEDEA envoie une mission. « Cette présence physique de la CEDEAO au lendemain du coup d’Etat a signifié dès le départ à la junte du CNDD que ses faits et gestes seraient surveillés par la communauté », poursuit Gilles Olakounlé Yabi, qui explique que, si l’Union africaine a eu un rôle important, « la CEDEAO était en première ligne et a réalisé un travail préparatoire toujours remarquable ».
En Guinée-Bissau, la CEDEAO a également joué un rôle primordial : alors que la guerre civile de 1997-1998 oppose plusieurs parties, parmi lesquelles les forces armées du Sénégal et de Guinée, aux côtés des forces loyales au président Vieira, la CEDEAO négocie l’accord d’Abuja, qui doit permettre la fin des hostilités et conduire au déploiement des premiers contingents de l’ECOMOG, plus connus sous l’appellation de « Casques blancs ».
Pourquoi ce revirement ?
Sous la pression des événements politiques et sécuritaires, la CEDEAO est devenue un organe diplomatique. Car sans paix, le développement économique semble impossible. Tout remonte à 1990. Le Nigeria convainc alors la CEDEAO d’envoyer 20 000 hommes au Liberia. Plongé dans une guerre civile violente, le pays est arrivé à un point de rupture. De quoi faire sortir la communauté de ses prérogatives. La CEDEAO crée alors l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG). Objectif de cette force : le cessez-le-feu et son maintien. Neuf ans après sa création, l’ECOMOG, prévue pour être éphémère, devient permanente. Après le Liberia, les forces armées de la CEDEAO interviendront ensuite en Sierra-Leone, au Togo ou encore au Mali, en 1998, en 2005 et en 2012.
Le rôle de la CEDEAO « est devenu de plus en plus politique et son action a finalement plus consisté à promouvoir la paix et la sécurité régionale qu’à stimuler les activités ouest-africaine », estimait Rinaldo Depagne, directeur du projet Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group, dans une tribune signée en 2016. La CEDEAO s’est mise à jouer le rôle de « pompier » dans ses pays membres. Un changement de politique qui a connu des hauts et des bas. Mais un défi majeur s’impose à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest : au-delà des crises politiques internes, l’Afrique de l’Ouest est désormais confrontée à des activités criminelles et terroristes transnationales. Et pour cela, la CEDEAO semble trop peu équipée pour réussir dans sa nouvelle mission diplomatique et sécuritaire. L’organisation, estime d’ailleurs l’International Crisis Group, devrait se doter « d’un véritable pôle de lutte contre le crime organisé, compris au sens large du terme, et incluant le terrorisme, les trafics de drogues, de personnes ou d’armes ».