Confronté à l’insécurité, le Burkina Faso restera dans l’impasse si le gouvernement local n’entame pas des négociations, estime Mahamoudou Savadogo, chercheur à l’université Gaston Berger au Sénégal.
Les dynamiques de l’insécurité que subit le Burkina Faso varient d’une région a une autre. Pour les comprendre, il faut les analyser par région et apporter, chaque fois, une réponse adaptée en fonction de ce qui a fait naître le problème.
Dans certaines régions, comme le Sahel (nord du pays), le pays est confronté à une forme de terrorisme insurrectionnel, combiné au terrorisme djihadiste. Dans l’est et dans le centre-nord, on observe des foyers insurrectionnels armés sur fond de conflits communautaires (pour le Centre-Nord), de mauvaise répartition des richesses naturelles et de criminalité transnationale (pour l’Est). Dans la boucle du Mouhoun, nous nous retrouvons face à un type d’insécurité hybride né des conflits fonciers et communautaires qui ont dégénéré en crise terroriste soutenue et alimentée par les groupes armés djihadistes.
Les principaux vecteurs de propagation des foyers insurrectionnels se trouvent dans l’Est et dans le Centre-Nord.
Le djihadisme profite de la faiblesse de l’État dans l’Est…
Dans la région de l’Est, d’abord, le manque d’investissement du pouvoir central et le sentiment de frustration de la population sont exploités par les groupes terroristes, lesquels mettent l’accent dans leurs prêches sur leur volonté de restituer les terres à ceux qui en ont été privés.
En effet, la forte présence d’aires protégées dans la région de l’est constitue certes un atout touristique et économique majeur, mais cette valorisation du patrimoine forestier et faunique ne profite que peu aux communautés locales. Les droits d’accès et d’usage pour l’agriculture (incluant la pêche), le pastoralisme et la chasse constituent les principaux objets de plaintes des communautés riveraines.
Les populations ont donc trouvé comme moyen pour sortir de leur misère l’insurrection contre le pouvoir central – suscitée, on l’a dit, par les groupes armés terroristes. Cela s’est manifesté par une indifférence face à l’installation des groupes terroristes, par un accompagnement technique et logistique desdits groupes en leur apportant des soutiens de toute sorte – mise à disposition de chasseurs, de pisteurs, de trafiquants, et surtout de leaders locaux pour convaincre les plus réticents de la pertinence de la lutte.
Cette collaboration entre les populations et les groupes terroristes a même été reconnue pendant l’opération Otapuanu, déclenchée le 7 mars 2019 sur instruction du Chef suprême des Forces armées nationales. Otapuanu, qui signifie en langue gourmantché « Pluie de feu ou foudre », a été conduite par l’état-major général des armées. À cet effet, les Forces armées nationales, en coordination avec les Forces de sécurité intérieure, se sont déployées dans les régions du Centre-Est et de l’Est.
L’objectif principal de cette opération était de restaurer l’autorité de l’État dans cette partie du pays où les populations étaient quotidiennement sous la menace et les exactions des groupes armés terroristes et des groupes criminels de tout genre, comme exprimé, en mars 2019, un communiqué du gouverneur de l’Est :
« Dans le cadre de l’opération Otapuanu, il nous a été donné de constater que malgré les appels au respect des consignes prescrites, des individus s’organisent dans certaines localités de la région de l’est pour empêcher la liberté d’action des troupes sur le terrain. Le Gouverneur tient à rappeler à l’ensemble des populations de l’est que cette attitude de défiance caractérisée par des actes hostiles à l’encontre des troupes ne saurait être tolérée. Par conséquent, toute personne qui viendrait à entraver désormais la liberté d’action des troupes sera traitée selon les règles d’engagement de ladite opération. »
Depuis, le nombre d’incidents a augmenté : les 320 incidents recensés en 2020 en lien avec les groupes radicaux sont la preuve que ces groupes ont conservé toute leur force de frappe dans la région. Les axes routiers entre Fada-Pama, Gayéri-Tankoalou, Nadiagou-Koalou et les communes de Botou, Ougarou, Foutouri sont des zones à haut risque d’explosion d’engins explosifs improvisés (IED) et échappent au contrôle du pouvoir central.
… et dans le centre-nord
Le centre-nord a totalisé 139 incidents sécuritaires en lien avec les attaques de groupes radicaux en 2019, contre au moins 99 incidents de même nature en 2020. Mais cette baisse des chiffres ne se traduit pas par une diminution de la violence, car au moins 203 personnes ont trouvé la mort dans cette zone du fait de l’activité des acteurs armés au cours de l’année 2020.
Dans le Centre-Nord, le principal vecteur de propagation de foyers insurrectionnels est l’inertie, l’inaction, et la faiblesse de l’État qui a passivement – vu cette région complètement basculer dans la violence extrémiste avant de tenter de l’en faire sortir.
L’insurrection armée locale dans cette région tient particulièrement à la non-résolution judiciaire des attentats de Yirgou et d’Arbinda. Le 1er janvier 2019, un drame sans précédent dans l’histoire contemporaine du pays est survenu à Yirgou-Foubé, un village de la commune de Barsalgho où, après une attaque terroriste ayant ciblé et assassiné le chef moagha de la localité et des membres de sa famille, une expédition punitive a été organisée contre tous les Peuls aux alentours et dans leurs campements. En décembre 2019, une attaque djihadiste a fait plusieurs dizaines de morts dans la localité d’Arbinda.
Le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) né à la faveur desdits évènements affirme que l’État ayant fait preuve de « mollesse » dans le traitement du dossier de Yigou, les « milices n’ont pas hésité à récidiver avec la même atrocité à Arbinda ». Pour le collectif, la réaction de l’État n’est pas à la hauteur des attentes. Ces attaques ont coûté la vie a des centaines de personnes, sous le regard impuissant de l’État.
Là aussi, le pouvoir central n’a pas pleinement joué son rôle ou, à tout le moins, a réagi avec retard. De ce fait, une majorité de la population rurale de la région du centre-nord qui a perdu toute confiance vis-à-vis du pouvoir central a trouvé comme stratégie de résilience la collaboration avec les groupes terroristes.
Certains ont même retrouvé en ces groupes terroristes un supplétif à l’État qui leur permet de retrouver leur dignité en se faisant justice soi-même ou en réglant des problèmes (conflits locaux, conflits fonciers) qui n’ont jamais pu trouver solution auprès de l’État. Dans cette région, du fait de la mauvaise réponse politique et sécuritaire apportée par l’État, ce qui était au début une crise sécuritaire est devenue une crise communautaire et/ou interethnique.
Une seule option : la négociation
Le terrorisme est un acte criminel considéré comme un phénomène sérieux de déstabilisation du pouvoir central. Mais, malheureusement, c’est aussi devenu un moyen de contestation qui donne naissance à des insurrections armées locales qui s’érigent contre ce pouvoir central.
Le dialogue, la négociation et la réconciliation sont les voies à privilégier pour trouver une solution endogène pérenne et qui puisse ramener durablement la stabilité et la paix dans ces zones rurales longtemps abandonnées à leur propre sort par le pouvoir central. Négocier avec les insurgés permettra certainement d’éteindre les foyers insurrectionnels locaux. Car comme le dit Zephirin Diabré (ministre d’État, ministre chargé de la Réconciliation nationale) dans une interview accordée au journal Le Monde Afrique en date du 12 mars 2021, « avec des Burkinabés qui se sont laissés endoctriner et ont pris les armes, parfois par frustration, découragement ou par sentiment d’injustice, on peut dialoguer ».
Depuis que l’élection présidentielle s’est déroulée dans un climat plus ou moins apaisé, le discours de l’État a changé et la solution de la négociation est désormais de plus en plus envisagée par le pouvoir en place.
Mahamoudou Savadogo, Chercheur sur les questions de l’extrémisme violent, Université Gaston Berger
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.