Arrêtée par la justice béninoise, Reckya Madougou est aujourd’hui accusée de terrorisme. Pour faire taire les opposants, les chefs d’Etat en Afrique misent souvent sur l’atteinte à la sûreté de l’Etat. Un chef d’accusation qui leur permet de ne pas perdre la face.
Opposants, journalistes ou militaires… En Afrique, plusieurs dizaines d’entre eux croupissent dans des prisons, accusés d’« atteinte à la sûreté de l’Etat » ou même de « terrorisme » dans différents pays. Et les cas sont loin d’être anecdotiques : en octobre 2019, le Burundi arrêtait quatre journalistes, tous « déclarés coupables de tentative d’atteinte à la sûreté », résume Amnesty International. En 2005, Idrissa Seck, ancien Premier ministre, devenu opposant, du président sénégalais Abdoulaye Wade, était lui aussi accusé d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Plus récemment, c’est la candidate béninoise du parti Les Démocrates qui a été arrêtée pour « terrorisme ». Reckya Madougou est accusée d’avoir fourni de l’argent à un colonel pour perpétrer des assassinats politiques.
Des juridictions opaques et arbitraires
Et les exemples sont encore nombreux. Les gouvernements ont toujours profité de cette accusation fourre-tout pour emprisonner, en toute impunité, des personnes qui les dérangeaient. Avec plus ou moins de finesse. Quand, en avril 2020, Alger décidait de criminaliser la « diffusion de fausses informations » qui portent « atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat », le message était clair : réduire à son plus strict minimum la liberté d’expression. Pour les régimes les plus autoritaires, il s’agit d’étouffer l’opposition trop bruyante. En 2000, Alpha Condé, alors opposant au régime de Lansana Conté, avait été condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’autorité de l’Etat et tentative de déstabilisation du pays depuis l’étranger ». Un droit dont il abuse aujourd’hui de façon éhontée contre ses opposants.
Et pour appuyer ces accusations faciles, les Etats africains ont mis en place des autorités judiciaires opaques, et bien souvent arbitraires. C’est par exemple la « Cour de sûreté de Conakry » qui s’était occupé du cas Condé. Une juridiction d’exception qui trouve son origine en Occident. La France s’était doté d’une telle cour en 1963, après les attentats de l’OAS, pour emprisonner les adversaires de l’Algérie française. Arrivé au pouvoir, François Mitterrand avait supprimé la Cour de sûreté de l’Etat. Le socialiste avait par ailleurs longtemps dénoncé le « recours abusif au délit d’offense au chef de l’Etat ». Un crime de lèse-majesté, qui n’existe plus en France, que l’on retrouve désormais dans des textes de lois africains, comme dans l’ordonnance-loi n°300 du 16 décembre 1963 en République démocratique du Congo.
« Des infractions surutilisées » par les gouvernants africains
Entre ces textes anachroniques, les cours de sûreté de l’Etat et les tribunaux militaires, il est toujours aussi facile pour les présidents en exercice de museler des opposants trop virulents. L’accusation d’atteinte à la sûreté de l’Etat est restée, au fil des décennies, une arme politique redoutable. Une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des opposants qui seraient trop virulents. « Ce ne sont pas seulement les corps institués de l’Etat (gouvernement, police, armée, justice, prison…) qui permettent d’aborder la question du pouvoir, mais aussi toutes les micro-procédures et les ‘tactiques les plus infinitésimales’ de contrôle et d’assujettissement des individus », résume Christine Deslaurier dans « Penser la prison politique en Afrique ».
Alors pourquoi ces accusations d’« atteinte à la sûreté de l’Etat » sont-elles autant employées, alors que l’on imagine très bien qu’elles sont utilisées pour des raisons purement politiques ? En usant de tels griefs, les Etats jouent sur un fait inaliénable : leur droit à la souveraineté nationale et la reconnaissance, par les autres Etats, de leurs frontières. « Les accusations de tentative de coup d’État, d’atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat, de collusion avec les puissances étrangères, de participation à des groupes armés, d’incitation à l’insurrection ou d’outrage au chef de l’État ont ainsi été largement employées », poursuit la chercheuse Christine Deslaurier, qui estime qu’on est là face à « des infractions surutilisées » par les gouvernants africains qui en usent et en abusent.