Les liens entre l’Algérie et la Turquie sont de plus en plus étroits. Plusieurs différends qui opposaient les deux Etats disparaissent. L’alliance entre Alger et Ankara est-elle inévitable ?
Les relations cordiales entre l’Algérie et la Turquie représentent un nouveau paradigme géopolitique en Méditerranée et en Afrique. Le passé partagé par les deux Etats ainsi que l’alignement progressif des intérêts géostratégiques se manifestent aujourd’hui plus que jamais. Une alliance naissante au potentiel redoutable, pour les deux pays mais également pour l’Afrique.
Cela fait plusieurs semaines que le président algérien Abdelmadjid Tebboune met l’accent sur le « partenariat stratégique » avec la Turquie. Une déclaration parmi d’autres, qui est intervenue dans un contexte électoral. Vraisemblablement, c’est une amitié renouvelée entre les deux pays, qui donne des sueurs froides à la France. Cependant, ce rapprochement était attendu. Alors que Paris ne cesse de multiplier les actes d’hostilité envers les partenaires africains de la Turquie et de l’Algérie, le nouveau « soft power » d’Erdogan en Afrique est réel. Avec l’Algérie, la Turquie est devenue un acteur diplomatique très puissant sur le continent.
Aucune barrière à cette redoutable alliance
Selon l’essayiste Saber Blidi, « il ne fallait pas s’attendre à ce que la France sorte gagnante de sa croisade pour enterrer la mémoire coloniale ». Il est vrai que depuis la colonisation et la Guerre d’Algérie, la Mecque des révolutionnaires est dotée d’une volonté populaire unanime d’émancipation. De son côté, le président algérien Abdelmadjid Tebboune présente le modèle d’investissement turc comme une excellente alternative au néocolonialisme français.
« L’Algérie entretient d’excellents rapports avec la Turquie. Elle a investi environ 5 milliards de dollars en Algérie sans conditions. Quiconque est agacé par cette relation devrait simplement investir dans notre pays », a simplement prévenu le président Tebboune.
Selon l’Agence algérienne de Promotion du commerce extérieur (Algex), la Turquie a dépassé la France de loin en termes de relations commerciales avec l’Algérie. Actuellement, plus de 800 entreprises turques sont en activité dans le pays. L’Algérie et la Turquie collaborent aussi dans les secteurs touristique, culturel et éducationnel. Rien qu’au début du mois de juin, quatre accords commerciaux ont cimenté le partenariat maritime et diplomatique entre Ankara et Alger.
Entre exonération totale des taxes et des impôts d’import et d’export, levée progressive de la contrainte du visa pour les voyageurs et d’autres mesures marquantes, il ne subsiste aucun doute sur le fait que les deux pays sont sur l’autoroute d’une amitié qui durera.
Ensuite, l’attitude accommodante du pouvoir algérien vis-à-vis de la Turquie n’a pas été tempérée par les avertissements du « colonialisme turc doux », dénoncé ici et là. L’histoire coloniale de l’Empire ottoman n’est clairement pas aussi marquée que celle du colonialisme français. De plus, le rapprochement religieux, la tendance conservatrice des deux peuples et l’ambition anti-française des deux diplomaties sont des points sur lesquels il faut compter. Et la souveraineté des deux Etats ne saurait être entravée par le passé, même le plus récent.
L’islamisme turc ne fait pas peur à Alger
En effet, l’aversion historique de l’Etat et du peuple algérien envers les courants politiques d’obédience islamiste a connu une mutation depuis les dernières élections. Le Mouvement de la société pour la paix (MSP) d’Abderrazak Makri a en effet gagné 65 sièges au parlement. Ce qui constitue un dédoublement de l’influence du parti, qui a remporté 31 sièges supplémentaires.
C’est là un point primordial dans les relations entre la Turquie et l’Algérie. Dans son entretien avec Le Point, Tebboune n’a exprimé aucune inquiétude ou méfiance face à l’islam politique. « L’idéologie islamiste n’est pas une source de préoccupation pour les autorités algériennes », a déclaré le président algérien. Avant de continuer : « L’idéologie qui existait dans les années 1990 n’existe plus en Algérie ».
Certains analystes estiment que l’expérience de la « décennie noire » en Algérie a appris aux islamistes à éviter la confrontation avec l’Etat. Le président algérien a aussi souligné que l’islam politique soutenu par la Turquie n’entraverait pas le développement en Algérie. De plus, au niveau politique pur, assurer le soutien du MSP est une carte gagnante pour Tebboune. C’est non seulement un chemin vers l’unité nationale, mais aussi un bon instrument pour provoquer la France, un pays qui connait une montée de l’islamophobie et du discours haineux, et qui base son opposition géopolitique à la Turquie sur le soutien turc aux Frères musulmans.
Le grand potentiel diplomatique algérien
Puis, le modèle économique et diplomatique turc est une bonne référence pour les Algériens. Si le pays est hautement militarisé et riche en matières premières, il est aussi économiquement hyper-souverain. L’Algérie, qui est présentée par l’Occident comme un pays belliqueux, refuse cette étiquette qui lui colle à la peau. La diplomatie algérienne, surtout en Afrique, est une diplomatie inconditionnelle. Et l’activité économique algérienne sur le continent suit un principe de fraternité historique, certes, mais se base aussi sur une stratégie gagnant-gagnant, à l’image de la Russie et de la Turquie.
Il est clair que la Turquie traite avec tous les pays africains, qu’importe leur positionnement diplomatique. En se basant, notamment, sur le commerce qui vise un marché national ou régional. La diplomatie économique algérienne commence à suivre ce modèle. Avec ses voisins, comme la Tunisie et le Niger, mais aussi avec les nouveaux fronts africains qui se sont extirpés au néocolonialisme occidental, comme le Nigéria et le Burkina Faso.
Afin d’initier ce « soft power » algérien et turc en Afrique, l’Algérie s’est appuyée sur son alliée, la Russie. Outre les accords militaires entre les deux pays, la Russie est activement à la recherche de partenaires africains. Si en Afrique de l’Est ou en Afrique australe, la Russie fait front avec la Chine dans plusieurs pays comme l’Angola, la Zambie et la RCA, en Afrique de l’Ouest, Moscou est grandement entravée par les Etats-Unis et la France.
Or, l’Algérie entretient de bonnes relations avec le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal et la Guinée, entre autres. Autant de moyens de cimenter un partenariat multilatéral avec la Turquie qu’une voie sûre de réaliser un large projet géostratégique avec la Russie en Afrique.