Alors que les laboratoires ne souhaitent pas renoncer aux droits de propriété intellectuelle sur le vaccin anti-Covid, l’Afrique attend que l’OMC se prononce sur cette question.
En janvier dernier, une députée européenne déplorait le manque de transparence des laboratoires pharmaceutiques. « Les labos fixent leurs propres règles à la Commission européenne, qui s’est couchée en acceptant de tenir ces contrats secrets », affirmait Manon Aubry, avant de revenir sur la question de la propriété intellectuelle. « Il faut faire tomber les brevets sur les vaccins et en faire des biens communs mondiaux ! Il est inadmissible que des entreprises privatisent un outil essentiel de sortie de la crise sanitaire. Aucun profit ne devrait être fait sur la pandémie », poursuivait l’élue de gauche qui demande, cette semaine, que les brevets tombent « dans le domaine public ».
A l’heure où le dispositif Covax semble déjà être un échec, l’OMS se rend compte de son côté que la loi du marché imposée par Big Pharma prend le dessus sur la solidarité. L’organisation espéraient il y a quelques semaines encore que « 2 milliards de doses (de vaccin) puissent être distribuées équitablement d’ici la fin 2021 » dans les différents pays. Mais l’Union Européenne et les Etats-Unis ont signé des accords directs avec les laboratoires, faisant fi de leur engagement initial. Pendant ce temps, « de nombreux Africains se demandent si la production et la distribution de ces vaccins seront équitables et justes », indique l’ONG Human Rights Watch.
Les appels à la renonciation de la propriété intellectuelle se multiplient
La faute à des brevets gardés bien précieusement par les laboratoires… En octobre 2020, Hervé Chneiweiss, directeur du laboratoire Neuroscience Paris Seine–IBPS et président du comité d’éthique de l’Inserm, estimait pourtant qu’« il y a de grandes chances que le vaccin contre le Covid-19 (…) échappe aux lois du marché des médicaments ». A la revue de l’Institut national de la recherche agronomique, il affirmait : « que ce soit la fondation Gates ou l’Union européenne, qui a déjà provisionné 8 milliards d’euros, il va de soi que l’Afrique bénéficiera des vaccins dès qu’ils apparaîtront ». Quatre mois plus tard, on se rend compte que la loi du marché a balayé les utopies.
Les ONG pourront nourrir des regrets. En novembre dernier, Médecins Sans Frontières (MSF) appelait les gouvernements « à soutenir la demande, formulée par l’Inde et l’Afrique du Sud en octobre, de renoncer exceptionnellement aux droits de propriété intellectuelle durant la pandémie de Covid-19 ». Objectif d’alors : rendre l’Afrique moins dépendante des marchés et des groupes pharmaceutiques étrangers qui, grâce à des armadas de juristes, ralentissent la naissance d’une véritable industrie pharmaceutique continentale.
Business is business
Mais pas question pour les Big Pharma de lâcher une telle machine à cash que le vaccin anti-Covid. Et ce, malgré le fait que l’OMC puisse parfois accorder aux PMA (pays les moins avancés) africains le droit de s’affranchir des licences pharmaceutiques pour produire des génériques. En matière de Covid-19, « depuis le début de la pandémie, les multinationales pharmaceutiques ont maintenu leur politique de contrôle strict de leurs droits de propriété intellectuelle, tout en concluant des accords commerciaux opaques et monopolistiques qui excluent de nombreux pays en développement », s’étonne, à moitié, MSF.
Co-directeur de la campagne d’accès aux médicaments de l’ONG, le Dr Sidney Wong n’est pas vraiment surpris : « même une pandémie mondiale ne peut empêcher les sociétés pharmaceutiques de poursuivre leur approche habituelle. Les pays doivent donc utiliser tous les outils à leur disposition pour s’assurer que les produits médicaux contre la Covid-19 soient accessibles et abordables pour tous ceux qui en ont besoin ».
Une lueur d’espoir
A l’époque, « un seul laboratoire parmi tous ceux qui travaillent à la mise au point d’un vaccin Covid-19 » s’était « engagé à traiter la question de la propriété intellectuelle de façon différente de ses pratiques habituelles », rappelle MSF, qui sait qu’il s’agissait là d’une « exception ».
En attendant, le débat a été déplacé devant les autorités internationales compétentes. Et c’est l’OMC qui fait figure de solution. Le 4 février, l’Organisation mondiale du commerce discutait, comme le souhaitent l’Afrique du Sud et l’Inde, de la possibilité de mettre en place une dérogation temporaire aux accords sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC). L’Egypte, le Kenya et la Tunisie font partie d’un contingent de pays africains qui demandent à l’OMC d’accepter la levée des droits de propriété intellectuelle sur les brevets.
« La production de tous ces produits essentiels doit être ouverte à d’autres opérateurs. L’urgence sanitaire justifie de sortir des cadres existants qui ne sont pas adaptés à l’ampleur de la crise », insiste le négociateur sud-africain à l’OMC, Mustageem de Gama. Refus catégorique des labos, pour qui « la protection de la propriété intellectuelle est essentielle pour soutenir l’innovation ».
Seule l’OMC pourra donc changer la donne. L’arrivée d’une Africaine à la direction générale de l’instance internationale pourrait alors permettre d’accélérer les démarches initiées par l’Afrique du Sud et par l’Inde.