Après le scandale des marées noires dans le delta du Niger, au Nigeria, la Cour d’appel de La Haye a condamné Shell Nigeria. Une condamnation confirmée par la Haute Cour de justice à Londres.
« Depuis des décennies, des millions de personnes vivant dans le delta du Niger souffrent des conséquences de la pollution pétrolière à grande échelle. Chaque année, 16 000 bébés meurent des suites de la pollution, et l’espérance de vie dans le delta est inférieure de 10 ans à celle du reste du Nigeria », affirme l’organisation Milieudefensie, qui accompagne des plaignants nigérians dans leur bataille judiciaire depuis 2008.
Et si, comme l’affirme l’ONG, « les multinationales néerlandaises pouvaient agir en toute impunité dans les pays en développement », ce n’est plus le cas : la succursale de Royal Dutch Shell doit compenser les 45 000 agriculteurs et pêcheurs de la région pour la destruction de l’écosystème dans la région et les dégâts qui s’en sont suivis, incluant des pertes humaines.
Et après un premier jugement en la faveur des plaignants aux Pays-Bas, c’est au tour du Royaume-Uni de donner raison aux victimes, ce vendredi 26 février. Une victoire pour l’ONG Milieudefensie, qui avait porté plainte dans plusieurs pays contre Shell après que la justice nigériane avait émis une ordonnance de non-lieu, considérant que les actes de sabotage des pipelines n’étaient pas la responsabilité de l’opérateur néerlandais.
La décision de la justice anglaise d’élargir le champ de responsabilité de Shell Nigeria à la maison-mère, Royal Dutch Shell, est une première. Surtout, les tribunaux britanniques affirment que la catastrophe a touché 45 000 victimes, alors que le Cour d’appel de La Haye avait condamné Shell à verser des indemnités à seulement trois Nigérians.
« Les conséquences de cette affaire seront immenses », résume Donald Pols, le directeur de Milieudefensie. L’ONG veut passer à une autre étape : « Des centaines de plaintes vont être déposées, jusqu’à ce que ces sociétés assument leurs responsabilités pour les violations des normes environnementales à l’étranger ».
Vers de nombreuses plaintes
Après la décision de justice hollandaise, en janvier, Shell a fait appel auprès de la Cour suprême des Pays-Bas. En l’absence de vice de forme et en attendant l’audience, Shell Nigeria avait déjà compensé trois des quatre personnes lésées afin d’étouffer l’affaire aux Royaume-Uni. Une mesure dénoncée par Milieudefensie.
Au Royaume-Uni, des milliers de Nigérians ont demandé aux autorités judiciaires britanniques l’autorisation de poursuivre Shell pour les dommages environnementaux causés dans le delta du Niger. La Haute Cour de justice de Londres a décidé que la décision de la justice néerlandaise s’exécuterait aussi sur les représentants de Shell aux Royaume-Uni.
Quelle que soit l’issue de cette affaire, Shell doit affronter d’autres problèmes juridiques. Dans une action distincte intentée par l’organisation Les Amis de la Terre, à laquelle Milieudefensie appartient, le tribunal de La Haye pourrait appeler à un arbitrage de la CEDH dans cette affaire.
Cette plainte, plus globale, accuse Shell de violation délibérée des droits de l’homme dans le cadre de son extraction des combustibles fossiles en Afrique.
« Si les affaires Shell aux Pays-Bas et au Royaume-Uni tombent, cela pourrait imposer un froid temporaire sur l’enthousiasme des ONG qui portent ce genre de plaintes » déclare Veerle Heyvaert, professeur de droit à la London School of Economics. Cependant, avec environ 1 500 affaires liées aux violations des normes environnementales en cours dans le monde, il y a « trop d’élan » pour qu’un verdict négatif n’arrête complètement ce type de litiges à l’avenir.
Shell plaide le sabotage
Shell soutient depuis longtemps que les marées noires dans le delta du Niger sont le résultat d’un sabotage et que l’entreprise les nettoie quelle qu’en soit la cause. La major pétrolière anglo-néerlandaise affirme qu’en 2019, 95 % des marées noires étaient dues à des sabotages, des vols ou au raffinage illégal.
« Nous travaillons dur pour empêcher ces actes criminels en utilisant la surveillance et en promouvant des moyens de subsistance alternatifs aux habitants, la loi nigériane est claire », a déclaré un porte-parole de la filiale nigériane de Shell en janvier. Et le responsable d’ajouter : « Les compagnies ne sont pas tenues de payer une indemnité pour les dommages causés par des déversements de sabotage ».
Milieudefensie soutient que les fuites de pétrole étaient évitables et résultaient de pipelines mal entretenus et d’une négligence générale de la part de Shell.