Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed est-il en train de marcher sur les traces de la Birmane Aung San Suu Kyi ? Voire un peu plus rapidement. Prix Nobel de la paix en 1991, la célèbre opposant du Myanmar a tout de même mis près de trois décennies pour devenir comme ceux qu’elle combattait. Il n’aura fallu que deux ans au dirigeant éthiopien pour faire regretter au comité norvégien son choix.
En 2019, le Premier ministre Ahmed était pourtant prometteur. En libérant des prisonniers politiques dès son arrivée et en participant à la résolution du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée, Abiy Ahmed s’était attiré les faveurs de la communauté internationale. Il n’avait alors que 42 ans.
Pentecôtiste, Abiy Ahmed sait à l’époque que les problèmes religieux, comme ethniques, peuvent être un danger pour la stabilité de son pays. Il réconcilie, mi-2018, les communautés chrétiennes éthiopiennes. En décembre 2019, alors qu’il reçoit son Nobel de la paix, Abiy Ahmed reprend les termes religieux pour mettre en garde les populations locales. « Les évangélistes de la haine et de la division créent le chaos dans notre société en ayant recours aux médias sociaux, dit-il alors lors de son discours. Ils prêchent l’évangile de la revanche et de la punition sur les ondes ».
Il a alors pris la primature depuis un an et demi. Et dans ses mots, on sent l’apaisement et la volonté de régler les conflits par le dialogue. On est alors loin d’imaginer que, en novembre 2020, il enverra ses troupes au combat. « La guerre rend les hommes amers. Des hommes sans cœur et sauvages », déclarait-il pourtant en recevant son Nobel. Aujourd’hui, Abiy Ahmed est devenu un chef de guerre au Tigré, dans une guerre à huis clos qui inquiète.
Une intervention lourde dans le Tigré
Et le Premier ministre, selon ses détracteurs, n’est pas étranger à ce qui se passe dans cette région d’Afrique. Pour Awol Allo, professeur de droit à l’université de Keele, qui s’exprimait sur la BBC, « Abiy a exclu tous les membres du Front populaire de libération du Tigré (TPLF) du cabinet. Il a ensuite reporté les élections. Le TPLF a alors organisé des élections au Tigré. Ils ont affirmé ne pas le reconnaître. Il a en retour affirmé qu’il ne les reconnaissait pas, et c’est ce qui a conduit à la guerre ».
Au-delà de sa volonté d’entrer en guerre, Abiy Ahmed n’a pas mesuré l’ampleur de ce qui se tramait dans le Tigré. Ou il a feint de le découvrir. Car trois semaines après le début de l’opération militaire sur place, le Premier ministre éthiopien proclamait la victoire de son armée, « sans pertes civiles » disait-il. Aujourd’hui, le Tigré est le théâtre d’un drame humanitaire dû à la volonté éthiopienne de renverser le TPLF. Et pour ce faire, le Premier ministre a mobilisé les troupes régulières loyales, aussi bien que des milices des régions voisines ou encore des forces de l’ordre venues de l’Erythrée.
Un peu plus d’un an après son discours lors de la réception de sa fameuse médaille censée symboliser la paix, Abiy Ahmed aurait-il tant que cela changé ? Ou la situation dans le Tigré lui imposait-elle d’intervenir avec une telle force de frappe ? Ou simplement, le comité qui a donné son prix Nobel de la paix au Premier ministre éthiopien s’est-il trompé, aveuglé par les espoirs portés en lui ? On ne pourra en tout cas pas reprocher à Ahmed d’avoir fait cesser la répression à son arrivée. Mais les conflits ethniques et religieux sont fréquents en Ethiopie. Et cela, le Premier ministre l’a peut-être simplement sous-estimé.