L’Union africaine peut-elle réellement s’occuper de tous les problèmes africains ? D’avis de spécialistes, l’UA a systématiquement échoué à appliquer les résolutions qu’elle a proposées. Aujourd’hui, en marge de la crise tchadienne, la question de son utilité se pose à nouveau.
Depuis la transformation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en l’Union africaine (UA), l’institution a beaucoup changé. La vision globaliste de gouvernance africaine autrefois portée par Kadhafi n’est plus. En résultat, l’UA n’est concrètement plus qu’une organisation où l’on flatte les égos des dirigeants à la tête de ses Commissions. Le mandat de l’UA n’englobe plus de pouvoir réel, surtout dans la résolution des conflits. De la résolution de désarmement, à l’urgence sanitaire, arrivant à la crise tchadienne, l’UA a été pour le moins contreproductive.
On a donc l’habitude, depuis 2002, d’observer avec indifférence les insuccès successifs des résolutions de l’UA. Depuis la faillite de la dernière décision majeure du Conseil de paix de l’UA, pris à Lusaka, de désarmer les conflits politiques en Afrique, le continent n’a jamais été plus armé. Certains marchands d’armes font même partie des investisseurs majeurs dans les projets de développement des Etats africains. Selon Small Arms Survey (SAS), 80% des armes légères en Afrique sont détenues par des civils.
Une longue histoire de défaites
Depuis la dernière résolution de désarmement de l’UA en 2016, les conflits armés meurtriers en Afrique ont doublé. La feuille de route de Lusaka décrivait 54 mesures à adopter pour empêcher l’accès aux armes aux acteurs non-étatiques. Aucune mesure n’a été adoptée par les gouvernements africains. Même les Etats qui ont parrainé la résolution, comme l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et l’Egypte, font partie des pays africains plus armés. Depuis la résolution, le nombre d’affrontements armés en Afrique est passé de 1846 en 2016, à 4811 en 2021, selon les données de l’ONU.
Plus récemment, l’UA a échoué dans son intervention auprès de la communauté internationale pour faire annuler la décision de l’OMC. Cette décision de limiter les licences de fabrication des vaccins anti Covid-19 par la propriété intellectuelle des compagnies pharmaceutiques occidentales, a ensuite été aggravée par l’UA. Au lieu d’outrepasser l’OMC et de fournir ses propres licences de fabrication des vaccins nigérians, sud-africains, russes ou chinois, l’UA a pris l’initiative d’acheter des vaccins préfabriqués. Actuellement, à cause de l’assaut médiatique sur ces mêmes vaccins qui monopolisent presque ceux achetés par l’UA, plus de 170 000 doses AstraZeneca ont été jetées.
Dans le cas encore plus récent du conflit tchadien, après la mort du président Idriss Déby Itno, l’UA a été passive. La charte constitutive de l’UA stipule « la condamnation et rejet des changements inconstitutionnels de gouvernement » dans son article 4. Or, par suite du décès du président tchadien Déby, son fils Mahamat a pris le pouvoir, contournant la constitution. Selon la plus haute loi tchadienne, c’était le président du Parlement qui devait prendre la place du président.
Kaka casse, Macron gronde, tonton répare
Donc, le Conseil militaire de transition tchadien (CMT) serait illégal, par normes et par clauses, aux yeux de l’UA. Ce fait de droit n’a toutefois aucun répondant à Addis-Abeba. Pourtant, le même article de la même charte de l’UA cite « le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance ».
Le fait est que l’UA n’a pas condamné le coup d’Etat au Tchad. Si on en croit certaines analyses, cette absence de condamnation serait due à l’intervention du Président de la Commission de l’UA, Moussa Faki. Cet ancien Premier ministre et ministre des Affaires Etrangères du Tchad aurait été un très proche ami des Déby. Faki avait même été directeur de cabinet d’Idriss Déby Itno. Son élection à la présidence de la Commission de l’UA avait été décidée en 2017. Elle est intervenue quelques mois seulement après le dédoublement de la présence militaire française au Sahel, mandatée par le Tchad.
Ce proche collaborateur du défunt président Déby entretenait aussi une relation étroite avec la famille présidentielle. Selon le journal Mondafrique, le nouveau président par intérim, Mahamat Déby, l’appelait « tonton ». C’est donc sous l’égide de la Commission présidée par Moussa Faki, que l’UA n’a fait qu’exprimer « sa vive préoccupation » pour la situation au Tchad.
La répression des manifestations à N’Djaména, survenue le 26 et le 27 avril, par les forces armées, incombe à tous les Etats membres du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA. Et malgré la condamnation du président français de ces évènements, l’UA est restée en ligne avec l’héritier de la présidence tchadienne. Lors d’un discours du président français, il avait dit : « Nous sommes pour une transition pacifique et inclusive, pas pour un plan de succession », avait déclaré Emmanuel Macron.
Du côté du CPS de l’UA, en revanche, le communiqué équivalent s’est montré plus souple : « Le CPS appelle toutes les parties prenantes tchadiennes à s’engager immédiatement dans le dialogue national », lit-on sur le communiqué. C’est à se demander si l’Union africaine a réellement son mot à dire dans la crise tchadienne, ou dans les affaires africaines.