Alors que les majors Total et Eni attendaient le prochain Congrès du pétrole et du gaz de Tanzanie pour présenter leurs offres d’exploitation gazière dans le pays, elles se sont faites court-circuiter par Equinor et Shell.
Samedi 11 juin, la Tanzanie a signé son premier accord majeur d’exploitation gazière avec la Norvégienne Equinor et l’Anglo-Néerlandaise Shell. Un accord-cadre qui doit permettre la construction d’un projet de 30 milliards de dollars, le quatrième plus grand complexe gazier en Afrique. L’accord entre la Tanzanie, Shell et Equinor prévoit un démarrage de l’extraction en 2025 et l’entrée en fonction de l’usine de gaz naturel liquéfié (GNL) de Lindi en 2029.
C’est sans doute une énorme concession de la part de l’Etat tanzanien, à hauteur de 1 630 milliards de mètres cubes de réserves dans les eaux tanzaniennes. Le ministre tanzanien des Energies, January Makamba, a déclaré : « C’est le plus grand développement de gaz naturel dans l’histoire de notre pays. Ce projet changera considérablement notre économie ».
La signature de cet accord prend de court les deux majors les plus actives en Afrique de l’Est, la française Total et l’italienne Eni. Ces dernières ont organisé plusieurs rencontres avec le gouvernement tanzanien ces derniers mois. Eni et Total avaient été invitées au 4e Congrès du pétrole et du gaz en Tanzanie, qui se tiendra le 2 août prochain. Toutefois, la signature de l’accord gazier avec Shell et Equinor met les deux concurrentes hors-jeu.
Un « accord en préparation depuis longtemps » ?
Si, d’un côté, le directeur d’Equinor pour la Tanzanie, Unni Fjaer, assure que « l’accord était en préparation depuis longtemps », d’autres facteurs expliquent ces nouveaux partenariats du côté de Dar es Salam.
A la suite des nombreux scandales entourant le pipeline de Total – Ouganda-Tanzanie –, l’oléoduc d’Afrique de l’Est (EACOP), la Tanzanie semble moins convaincue des performances de la major française. Total négociait ouvertement des blocs du projet gazier tanzanien, mais la présidente Samia Suluhu Hassan avait bien clarifié que la concurrence sera rude. « Nous avons atteint un bon stade de discussions sur le projet GNL, mais beaucoup de travail nous attend encore pour parler et le rendre compétitif », déclarait Hassan lors de sa dernière rencontre avec le patron de Total Patrick Pouyanné en février dernier.
Deux préoccupations semblent avoir dissuadé Samia Suluhu Hassan d’un futur partenariat avec le pétrolier français. D’abord, l’abandon pure et simple de Total de son projet mozambicain de Cabo Delgado, situé à 40 kilomètres des champs gaziers tanzaniens justement. Total n’a pas tenté de reprendre son projet mozambicain malgré le retour au calme dans la région. Il s’agit donc de doutes sur la fiabilité du partenaire français.
Pour la Tanzanie, pas question de donner le monopole à Total
Ensuite, la levée de boucliers des ONG environnementales et des droits de l’homme quant au double projet pétrolier du lac Albert Tilenga-EACOP a également montré que la mauvaise réputation de Total pourrait être un obstacle d’envergure. Depuis son entrée en fonction, Samia Suluhu Hassan essaye de maintenir des standards acceptables en termes de respect de l’environnement et des droits de l’homme. Offrir donc un monopole à Total dans le pays pourrait générer des problèmes que la présidente tanzanienne ne souhaiterait pas affronter dans le futur.
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Puis, pour le gouvernement tanzanien, multiplier les investisseurs étrangers est également un choix politique. L’ambassadeur de France en Tanzanie Nabil Hajlaoui, a déclaré que son pays était « en passe de devenir le premier investisseur européen en Tanzanie » fin mai. Toutefois, la Tanzanie n’a pas seulement écarté le monopole chinois sur ses partenariats internationaux depuis l’entrée en fonction de Samia Suluhu Hassan. Aujourd’hui, la France doit « faire mieux » que la Chine, l’Inde, le Royaume-Uni, les Emirats et le Canada, et trois autres pays dont les investissements en Tanzanie dépassent ceux de Paris.
La Tanzanie en passe de devenir l’un des producteurs majeurs de gaz en Afrique
Quoi qu’il en soit, en signant l’accord avec Shell et Equinor, la Tanzanie franchit le pas au sein d’une mouvance à capitaliser sur la crise énergétique mondiale. Selon le think-tank émirati ABiQ, le projet de GNL tanzanien est le second plus grand projet énergétique en cours de construction en Afrique. Baptisé Likong-o-Mchinga, le projet sera aussi le quatrième plus grand complexe gazier d’Afrique après sa complétion.
La capacité de production devrait atteindre 10 millions de tonnes de GNL par an. Les exports, eux, avoisineront 7,5 millions de tonnes vers les marchés internationaux. Autour de 10% du gaz qui atteindra l’usine de Lindi sera réservé pour la Tanzanie, et pourra produire 8 térawatt/heure d’électricité notamment. Avec ces chiffres, et les réserves déjà découvertes, la production pourra durer plus de 30 ans. Le premier mégaprojet tanzanien, donc, qui sera sans doute un vecteur de transformation économique du pays.