Qu’a véritablement changé l’adoption du Bitcoin en tant que monnaie officielle en République centrafricaine ? Le franc CFA est-il mort, dans ce pays ?
Il s’agit d’une « décision historique », selon le président de la République centrafricaine (RCA), Faustin-Archange Touadéra et son gouvernement. L’adoption du Bitcoin par Bangui en tant que « monnaie officielle », tranche clairement avec la position préalable du pays vis-à-vis du statut juridique des cryptomonnaies. En effet, entre une interdiction implicite et l’adoption complète, la RCA a clairement brûlé des étapes.
Pour la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC), la décision surprenante de la Centrafrique contrarie les « mœurs communautaires ». Le bloc CFA XAF est pris au dépourvu. La RCA est non seulement le premier pays africain à franchir le pas de la légalisation du Bitcoin, mais le troisième pays du tiers-monde à le faire, après le Mexique et le Salvador.
Depuis l’adoption du Bitcoin par Bangui le 26 avril, la conversion du franc CFA au Bitcoin a également subi des fluctuations inattendues. Car si les instances financières internationales avaient initialement botté en touche devant la décision de la RCA, estimant sans doute que le manque de connectivité et le désintérêt des populations se chargeraient de « faire couler » le projet, l’attrait du Bitcoin dans le pays a surpris le monde des finances.
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La République centrafricaine est, également, l’un des pays au PIB par habitant les plus bas en Afrique et dans le monde. Malgré tous ces facteurs, on décompte aujourd’hui plus de 120 000 habitants ayant contracté un porte-monnaie numérique depuis mercredi dernier. Ce qui rappelle le cas du Salvador — qui était devenu une épine dans le pied du Fonds monétaire international (FMI). Mais ce qui, surtout, menace l’hégémonie du franc CFA dans les pays francophones d’Afrique Centrale.
Un coup dur pour le franc CFA en Afrique Centrale
Pour le journaliste français Benjamin Chabert, il s’agit d’un « astucieux coup double pour Faustin-Archange Touadéra, qui ravive l’ire contre le franc CFA et la France, (…) et généralise des paiements difficilement traçables, en actifs convertibles en devises internationales ». Mais si, comme le relève le journaliste, l’adoption du Bitcoin n’est pas dénuée de risques — la monnaie pourrait servir de lessiveuse pour la corruption —, elle marque surtout « un bras d’honneur aux principes communautaires » de la BEAC, selon un cadre de la banque sous-régionale.
Et il faut dire que le cœur de la polémique se situe à ce niveau, surtout. Le ministre centrafricain des télécommunications, Justin Gourna-Zacko, assure que « le gouvernement n’a pas besoin de solliciter l’avis des institutions internationales bancaires pour utiliser la crypto-monnaie ». Il poursuit : « Nous avons travaillé avec les juristes et financiers qui nous ont dit qu’ils n’ont pas d’incompatibilité entre les textes internationaux et les nôtres ».
D’un autre côté, théoriquement, la convertibilité du Bitcoin avec le franc CFA XAF, résultat de la légalisation de la cryptomonnaie en RCA, offre plusieurs opportunités pour l’Etat centrafricain. Notamment, plus de liberté sur la conversion des devises et la circulation des actifs financiers, deux secteurs souverains pourtant en partie contrôlés — indirectement — par le Trésor français en raison de la parité fixe de l’euro avec le franc CFA.
La réaction de la BEAC se fait encore attendre
Sur le long terme, il existe également l’hypothèse que la BEAC adopte des restrictions, voire des sanctions contre la Centrafrique. Il sera aussi virtuellement plus difficile pour la France, prépondérante au sein de la BEAC, de surveiller l’économie de la RCA.
Mais, surtout, l’utilisation du Bitcoin par les Centrafricains menace les revenus des acteurs privés de monnaie numérique en RCA. Qu’il s’agisse de la française Orange, ou de l’émirato-marocaine Moov, les entreprises de télécommunication ayant commercialisé leur propre porte-monnaie numérique auront forcément moins d’attrait pour le public devant le Bitcoin. Ce dernier permettant les achats à l’étranger et une grande diligence de mouvement.
« Envoyer de l’argent de la RCA à l’international devient très difficile. Recevoir également à destination de la RCA le devient également. Parce que cela est contrôlé et passe par les Banques centrales », expliquait Justin Gourna-Zacko.
Selon une source de Jeune Afrique, « dès que vous avez au sein d’un pays membre de la Cemac une place de marché qui permet de convertir des francs CFA en cryptomonnaie, vous avez de fait un mécanisme de sortie de devises parallèle à celui contrôlé par la BEAC. Donc tout détenteur de francs CFA dans la zone peut y avoir recours, qu’il soit en Centrafrique ou non. C’est la porte ouverte à toute sortes de sorties et d’entrées illégales de devises ».
Reste à savoir comment réagira la BEAC maintenant. Un comité au sein de la banque a été mis en place et devait décider de sa position quant à cet évènement ce lundi. Pour le moment, c’est encore motus et bouche cousue.