Alors qu’une commission enquête sur les actes perpétrés lorsqu’il était au pouvoir, l’ex-président gambien Yahya Jammeh a vu l’un de ses anciens fidèles condamné par la justice pour un meurtre commis en 1995.
S’il espérait revenir avant l’élection présidentielle de décembre prochain, l’ancien dictateur gambien Yahya Jammeh risque de devoir prendre son mal en patience. Alors que, depuis deux ans, la Commission Vérité, réconciliation et réparations (TRRC) recueille les témoignages des victimes du régime Jammeh, l’un des lieutenants du dictateur a été rattrapé par la justice.
Yankuba Touray est un haut membre de la junte militaire, qui a dirigé la Gambie pendant deux ans après le coup d’Etat de 1994. A la tête du putsch, on trouvait Yahya Jammeh. Touray a été ministre des Collectivités locales, à ses débuts au pouvoir. En 1995, il a, avec Edward Singhateh, alors vice-président du Conseil militaire, et le frère de ce dernier Peter Singhateh, conspiré pour faire tuer Ousman Koro Ceesay, ancien ministre gambien des Finances.
Il y a cinq jours, la justice a jugé coupable Yankuba Touray. Il aura fallu, pour la famille de l’ancien ministre des Finances, attendre plus d’un quart de siècle pour obtenir justice. Reconnu coupable du meurtre d’Ousman Koro Ceesay, Touray a été condamné à mort. « Aujourd’hui, le tribunal nous a montré que personne n’est au-dessus de la loi », s’est félicitée la famille de la victime, soulagée.
Un meurtre orchestré au plus haut sommet de l’Etat
« Les preuves apportées par l’accusation montrent qu’une conspiration de haut niveau a été ourdie par Edward Singhateh, Peter Singhateh et l’accusé pour tuer la victime », a simplement déclaré le juge Ebrima Jaiteh. La Haute Cour de Banjul avait recueilli le témoignage d’Alagie Kanyi, un ancien soldat chargé, à l’époque, de « se débarrasser de la victime ». L’ex-ministre a été passé à tabac et son corps a été placé dans la voiture officielle de Yankuba Touray. Les preuves, poursuit le juge « n’ont pas seulement démontré que l’accusé a effectivement pris part au meurtre d’Ousman Koro Ceesay en le frappant avec un pilon, mais qu’il a également pris part au projet de se débarrasser du corps de la victime en le brûlant au point de le rendre méconnaissable, dans le but de dissimuler le crime ».
Cette condamnation à mort est un message fort envoyé à Yahya Jammeh et à tous les membres de la junte militaire qui ont pris le pouvoir en 1994 : un travail de justice minutieux tente actuellement de dire toute la vérité sur les actes perpétrés pendant les années de dictature de Jammeh. Yankuba Touray est d’ailleurs le premier haut responsable du régime Jammeh à être jugé depuis 2017, année de la fuite du dictateur.
Les témoignages recueillis par la TRRC devraient donner lieu à d’autres procès. C’est ce mois-ci que le président gambien, Adama Barrow, recevra les conclusions du rapport de la commission. Cette Commission vérité, réconciliation et réparations a déjà enregistré plusieurs centaines de témoignages. Parmi les personnes qui devaient être entendues, Yankuba Touray a refusé de témoigner.
Depuis près de deux ans, les militants de l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction, le parti de l’ex-dictateur, tentent toujours d’être présents dans l’arène politique. Le 4 décembre prochain, les Gambiens éliront leur président. Si Adama Barrow devrait postuler à sa propre succession, il trouvera face à lui des partisans de Yahya Jammeh.
Les nostalgique de Jammeh veulent son retour
L’ex-président avait, après la dernière présidentielle, pris la fuite en direction de la Guinée équatoriale. Son parti a, certes, chuté lors des législatives, mais Jammeh compte encore quelques soutiens en Gambie. Parmi eux, le député Musa Amul Nyassi a prévenu que son parti comptait toujours sur une candidature de l’ex-président en décembre 2021. « Le moment n’est pas venu de penser à un successeur. C’est toujours le chef suprême du parti et sur le terrain, il a des relais qui travaillent selon ses principes », explique l’élu. En janvier 2020, Yahya Jammeh avait demandé l’autorisation de rentrer dans son pays.
Outre les accusations d’exactions sous sa présidence, Jammeh a également été accusé d’avoir détourné près d’un milliard de dollars lorsqu’il était au pouvoir, selon un rapport commandé par Barrow en 2019. Autant dire que ce qu’on reproche à l’ex-dictateur ainsi que la condamnation de son ancien lieutenant risquent de retarder le retour d’un Jammeh qui devrait suivre la présidentielle gambienne depuis la Guinée équatoriale.