Dans la nuit du 24 au 25 mars, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) tunisienne a adopté de nouveaux amendements à la loi relative à la Cour Constitutionnelle. Prévue dans la Constitution de 2014, la Cour n’a toujours pas vu le jour.
Cela fait maintenant plus d’un an que la Loi no 50 de 2015, relative à la création de la Cour constitutionnelle, est au centre d’une guerre politique qui oppose plusieurs dirigeants, parmi lesquels les présidents successifs de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) — actuellement Rached Ghannouchi —, le président de la République Kaïs Saïed et les chefs de gouvernement successifs, dont l’actuel est Hichem Mechichi.
Ce mardi, le JDD Tunisie organisait un forum dont le thème était la Cour constitutionnelle et le conflit qui oppose le président de la République et l’ARP. Parmi les intervenants, des professeurs, des juristes et des députés.
Et il a forcément été question, lors de ce forum, d’un sujet important : qu’est-ce qui bloque la création de cette institution ? La Cour constitutionnelle devra accueillir douze membres, dont quatre élus par l’ARP, quatre nommés par le Conseil supérieur de la magistrature et quatre nommés par le président de la République. Depuis que la loi de 2015 a été promulguée, c’est au niveau de l’Assemblée que le bât blesse : l’ARP n’arrive en effet pas à élire trois des quatre juges qu’elle doit nommer afin que le processus avance.
Eviter la paralysie politique
Fin mars, des députés déploraient « les tiraillements entre les deux têtes du pouvoir exécutif », mais aussi « l’interprétation de la Constitution par le président de la République en sa faveur ». Pour les élus, il s’agit de créer la Cour constitutionnelle pour trancher sur ce sujet. Oui mais voilà, depuis son arrivée au pouvoir et les législatives, le conflit est ouvert entre Kaïs Saïed et les partis politiques représentés à l’ARP. Et le refus de Kaïs Saïed de ratifier des textes de loi votés par l’Assemblée, ou encore son opposition à la prise de fonction de nombreux ministres, confirment l’urgence de créer la Cour constitutionnelle attendue depuis plusieurs années.
Cette fameuse Cour constitutionnelle doit permettre d’éviter la paralysie politique. Pour Chafik Sarsar, président de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), « le second paragraphe de l’article 49 de la Constitution sera le bouclier qui protègera le peuple tunisien contre les abus du pouvoir ». Cet article indique qu’« il n’est pas possible qu’un amendement touche les acquis en matière de droits de l’Homme et des libertés garanties dans cette constitution ». Pour le président de l’ISIE, « en partant du principe que la législation est le domaine du pouvoir, et qu’elle est régulée par la Cour constitutionnelle, cette dernière ne peut être touchée par un amendement constitutionnel ».
Une Cour constitutionnelle pour devenir un Etat de droit
Cependant, face aux tensions politiques qui ont totalement paralysé la situation économique du pays et causé un blocage institutionnel en Tunisie, l’Assemblée des représentants du peuple a voté de nombreux amendements à la loi de 2015. Les derniers dans la nuit du 24 au 25 mars derniers. Une procédure pas illégale, mais moralement discutable… La Cour constitutionnelle doit permettre de mettre fin à ce cirque législatif qui n’en finit plus. Car, comme le prévoit l’article 120 de la Constitution tunisienne, « la Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité », entre autres, « des projets de lois qui lui sont soumis par le président de la République ou par le chef du gouvernement ou par trente élus de l’Assemblée des représentants du peuple ».
Cette absence de Cour constitutionnelle est en tout cas inédite. Pour Amin Mahfoudh, professeur de droit constitutionnel, « le rôle de la Cour constitutionnelle est d’enraciner la diplomatie et la pensée diplomatique dans la société ». Elle est l’organe qui sera garant de « l’établissement de l’Etat de droit » en Tunisie, poursuit le spécialiste du droit constitutionnel. Mais des soucis de fond demeurent et empêchent d’ores et déjà la création de cette Cour constitutionnelle. Pour le professeur Slim Laghmani, le texte de loi prévoyant la création de l’institution a plus de lacunes que le simple choix de ses membres.
En effet, explique-t-il, l’un des problèmes majeurs de la future Cour constitutionnelle est qu’elle ne sera pas uniquement composée de magistrats. Ce qui posera normalement un vrai souci de neutralité. En effet, chaque candidat appartenant à un courant idéologique sera automatiquement contesté par le camp opposé. Selon Slim Laghmani, l’immunité acquise par les membres non-juges pourrait également poser un problème d’impunité, dans une Tunisie qui n’en sort pas du despotisme.
Un texte trop imprécis pour fixer les compétences de la Cour constitutionnelle
Selon le juriste, un autre problème dans les attributions de la Cour constitutionnelle pose souci : « Le contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour constitutionnelle est facultatif. Il faut que le président de la République le réclame avant la ratification, le chef du gouvernement ou un certain nombre de députés. Le contrôle de constitutionnalité des lois devient donc facultatif, alors qu’il devrait être obligatoire », résume-t-il.
Enfin, les intervenants ont pointé un dernier problème quant à l’étendue du contrôle de la constitutionnalité des lois par la Cour constitutionnelle. Cette dernière, si elle est saisie, ne peut en effet que donner son avis sur les amendements visés par les requêtes qui lui sont présentées, mais pas sur l’ensemble du texte. « Cela peut provoquer le passage en force de lois dont certains articles ne seraient pas constitutionnels, mais que le requérant aurait omis de mentionner dans sa requête », déplore le professeur Laghmani.
Avant même sa création, la Cour constitutionnelle tunisienne est donc visée par de nombreuses critiques quant à son rôle et ses attributions. Mais en attendant qu’elle sorte de terre, c’est surtout son absence qui pose question : d‘après l’article 84 de la Constitution, seule la Cour peut constater la vacance provisoire ou définitive de la présidence de la République. Or, on l’a vu lors du décès de Béji Caïd Essebsi : en cas de vacance, la Tunisie plongera indéniablement dans un vide institutionnel insolvable. Quant au conflit actuel entre le président de la République et son chef du gouvernement, la Cour pourrait là encore avoir un rôle à jouer. L’article 101 de la Constitution affirme en effet que « les conflits de compétences entre le président de la République et le chef du gouvernement, sont soumis à la Cour constitutionnelle ».