Au Kenya, les Mungiki sont un gang composé de plusieurs dizaines de milliers d’adeptes. Créé comme un groupe d’autodéfense contre les Kalenjin du dictateur Daniel arap Moi, cette organisation est désormais une mafia qui trempe dans toutes les activités criminelles du pays…
« Qu’est-ce que c’est que cet enfer !? ». Voilà le titre d’une recherche sur la secte Mungiki, conduite au Kenya par deux sociologues norvégiens. Et après des mois de recherches, les deux hommes ne sont sortis de leur enquête qu’avec plus de questions. Des interrogations concernant le secret qui se cache derrière la soif de sang des Mungiki, leur influence qui atteindrait des millions de Kenyans et les rituels de sang qui forgent la légende de ce gang.
En réalité, les Mungiki ont traversé plusieurs phases à travers l’Histoire. A l’origine, ils étaient une milice rebelle kikuyu — le groupe ethnique majoritaire au Kenya. Le nom signifie « les nombreux » ou « la majorité » en swahili. En 1988, les Mungiki voulaient avant tout affronter la répression de Daniel arap Moi. Le second président du Kenya était d’ethnie nilotique, et comptait grandement sur ses guerriers Kalenjin pour réprimer les Kikuyus.
Or, les Kikuyus étaient non seulement majoritaires au Kenya, mais c’est également une tribu fière, dont était issu le Père de l’indépendance Jomo Kenyatta. Et les Mungiki se sont donc soulevés surtout pour défendre l’héritage de ce dernier et sa fameuse doctrine et la devise du pays, le Haraambee — agir ensemble.
Ainsi donc, les Mungiki ont grandement puisé dans ce puit infini de fierté tribalo-anticoloniale. L’ancien empire britannique en a également profité pour salir les Mau Mau. Donc, dès le début, les Mungiki ont enfermé leurs propres traditions dans un cercle vicieux.
Une brutalité inouïe, mais pas vraiment invisible
Mais tout cela est d’une autre époque. L’activiste et historien Onyango Oloo, mort en 2020, disait justement : « Pour comprendre le Kenya, on ne peut se limiter aux données enregistrées par le colonialisme ». Et de continuer : « Si vous voulez comprendre les Mungiki, il faut aller dans les bois, sortir de Nairobi, vous salir les mains et prêter attention aux histoires des fous et des vieux ».
Dans une récente recherche sur les Mungiki pour El Confidencial, la reporter de guerre Maria Ferreira explique justement que « les dirigeants Kikuyus se sont appuyés sur les Mungiki pour faire leur sale boulot et contrôler les populations. Ainsi la secte est devenue le groupe terroriste et meurtrier qui contrôle de nombreuses régions au Kenya ».
Une accusation d’instrumentalisation de ce groupe, devenu un gang, adressée au président Uhuru Kenyatta donc. L’actuel président sortant du Kenya est, en effet, Kikuyu et le fils de Jomo Kenyatta. Mais il avait aussi grandement réduit le nombre de membres de cette secte. Des centaines de Mungiki ont écopé de lourdes peines de prison depuis 2013.
En tout cas, lorsqu’il s’agit des Mungiki, le quotidien des Kényans est bien moins politique, ethnique et moins romantique encore. Des corps démembrés dans les poubelles, des vendeurs de Tramadol dans les carrefours de toutes les villes du pays, « campagnes de purification » — des raids où les membres du gang opèrent des mutilations génitales sur les femmes…
La violence des Mungiki ne s’arrête pas là. Ils sont également impliqués dans la vente d’armes, la traite des humains, le racket et les assassinats de footballeurs, journalistes et politiciens.
Fin des violences politiques et nouveau leadership des Mungiki
Difficile à croire donc que ce phénomène du crime organisé, l’un des plus connus en Afrique, ne soit pas protégé par l’Etat. Les Mungiki sont également la mafia avec le plus de membres sur le continent, après la Black Axe du Nigéria.
Il a fallu que les violences post-électorales de 2007 au Kenya lèvent le voile sur la puissance de mobilisation des Mungiki. En effet, le meurtre de 15 policiers et de 27 civils en 2007 par le présumé chef des Mungiki Njoroje Kamunya a attiré l’attention des médias internationaux à l’existence même de ce gang.
Néanmoins, pendant la présidence de Mwai Kibaki, les Mungiki ne sont devenus que plus riches et plus puissants.
Dans l’Est du pays, des sociétés-écrans appartenant à cette mafia possèdent des milliers d’hectares de terres. Les drogues dures – cocaïne, héroïne, méthamphétamine et Tramadol – se vendaient à des taux record dans tout le pays, ainsi que dans l’ouest somalien et le nord tanzanien.
Les Mungiki et les Kenyatta, deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais
En 2013, et l’arrivée d’Uhuru Kenyatta, qui entretenait des liens avec les Mungiki si on en croit l’opposition, la grande criminalité a grandement baissé dans le pays. Selon des recherches d’Africa Confidential et du quotidien The Star, les choses ne seraient pas si simples.
En effet, en août 2000, les Mungiki ont exécuté leur rituel de sang, annonçant le début de la guerre, en tuant 9 civils et en incendiant une effigie du fils Kenyatta devant la tombe de son père. Mais Uhuru Kenyatta n’était alors que vice-Premier ministre, sans réel pouvoir.
Si on en croit les enquêtes des deux journaux mentionnés, le chef des Mungiki de l’époque, Njoroje Kamunya, avait de profonds différends avec Kenyatta. Mais l’arrivée au pouvoir du président kényan a changé les choses pour les Mungiki également.
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En effet, 2013 a été la date de la montée au pouvoir de Maina Njenga, le leader spirituel des Mungiki sous Kamunya. Njenga avait passé des années en prison, accusé de deux meurtres, avant d’être mystérieusement blanchi en 2013.
S’il dit avoir « trouvé la voie de Dieu » à sa sortie de prison, c’est peu convainquant lorsque l’on sait que les Mungiki détiennent des statuettes de l’homme dans leurs maisons…
De plus, Maina Njenga est actuellement au centre d’une affaire de fraude, estimée à 20 millions de dollars. Le chef présumé des Mungiki soutient d’ailleurs le candidat du pouvoir, Raila Odinga, dont il a magiquement révélé les détails d’une « amitié qui dure depuis 30 ans ». Et plus récemment encore, Maina Njenga a déclaré que Daniel arap Moi était un « bon président ».
Aucun paradoxe. Surtout lorsqu’on sait que Njenga et son présumé prédécesseur à la tête des Mungiki, Kamunya, ne s’entendaient pas sur la violence de cette mafia. Njenga est considéré « plus soft » que son prédécesseur, peut-être est-ce là le secret de la discrétion des Mungiki depuis 2013, et l’entrée de leur chef en politique.