Quelques jours après la publication d’un rapport sur la vente de logiciels espions israéliens aux gouvernements, le Maroc annonce son premier accord avec Israël. Il concerne des questions de cyberdéfense.
C’est officiel : un peu plus de six mois après la normalisation annoncée entre le Maroc et Israël, les deux pays ont signé leur premier accord qui concerne la cyberdéfense. La Direction nationale informatique israélienne, représentée par Yigal Unna, a en effet signé un accord avec des responsables de la sûreté nationale du Maroc. Selon le ministre israélien des Affaires Etrangères Yair Lapid, il s’agit d’une alliance « pour la coopération opérationnelle, le partage des informations et des connaissances ».
Le timing est étonnant, le Maroc venant de rejeter les conclusions d’une enquête de plusieurs journaux internationaux accusant le royaume d’avoir utilisé le logiciel du groupe israélien NSO, Pegasus, pour espionner des membres de la société civile, des journalistes et des opposants.
Les contours de ce nouvel accord sont flous : s’agit-il d’une réelle collaboration entre les deux pays pour une meilleure sûreté nationale au Maroc — ce qui expliquerait la présence du ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé de la Défense nationale, Abdellatif Loudiyi, sur place lors de la signature — ou le royaume chérifien est-il en train de légitimer sa cybersurveillance opérée par des entreprises israéliennes ?
Depuis 2010, Abdellatif Loudiyi a mené la charge de la monarchie marocaine contre la cybercriminalité. En collaboration avec les Forces armées royales (FAR), il avait présidé la commission législative lors de la rédaction des textes de loi « sur la cybercriminalité ». Aujourd’hui, la loi marocaine permet aux FAR de contrôler tous les échanges sur internet à travers sa plateforme Marix. Toutes les données qui transitent au Maroc passent désormais par Marix, qui a obtenu la collaboration de tous les fournisseurs d’accès marocains.
שוחחתי היום שיחה ארוכה וחמה עם שר החוץ של מרוקו, נאסר בוריטה, הקשר הישיר בין המדינות והעמים, הוא אינטרס ישראלי ראשון במעלה. אנחנו נמשיך לעבוד על חיזוק הקשרים בין המדינות ועל בניית שיתופי פעולה כלכליים, טכנולוגיים, תרבותיים ותיירותיים. pic.twitter.com/xYWctoC7AT
— יאיר לפיד – Yair Lapid🟠 (@yairlapid) July 16, 2021
Le Maroc et Israël passent-ils un cap dans l’espionnage ?
Dans un rapport de Citizen Lab, on constate que plusieurs gouvernements ont utilisé des logiciels d’espionnage israéliens pour voler les données des opposants politiques. En l’occurrence, la Hongrie et l’Arabie saoudite. Plusieurs autres rapports, dans le passé, ont déploré l’utilisation de logiciels similaires dans les pays africains, notamment au Togo et en RDC.
Outre NSO, plusieurs firmes israéliennes commercialisent ces logiciels espions, comme Candiru. Des groupes privés cependant adoubés par la Direction nationale informatique israélienne. Cet organe de l’Etat hébreu délivre lui-même les autorisations pour la vente de ces logiciels à l’étranger. Dans le cas du Maroc, il aurait même négocié les montants avec Rabat. En 2020, Citizen Lab avait documenté l’achat des logiciels DevilsTongue et Pegasus par le Maroc, deux des logiciels d’espionnage israéliens les plus controversés. Ce que le royaume a toujours nié.
Difficile cependant pour le Maroc de jouer la carte de la cybersécurité : le royaume se classe à la 97e mondiale dans l’Indice de cybersécurité, et 3e en Afrique. Le royaume chérifien est déjà doté d’un système de cyberdéfense de haut niveau. Le pays s’est d’ailleurs doté d’un des plus grands data-centers du continent et pourrait facilement surveiller les transactions bancaires ou d’e-commerce — premières sources de cybercriminalité — sans avoir recours à une quelconque aide étrangère.
D’ores et déjà, l’accord signé avec Israël inquiète la société civile. L’Etat hébreu, spécialiste du piratage et des cyber-attaques, est largement mis en cause dans plusieurs affaires d’espionnage. Selon la dernière enquête en date sur la question, le Maroc est accusé d’avoir, en France, utilisé Pegasus pour espionner des journalistes comme Edwy Plenel, le fondateur du site d’informations Mediapart, mais également la journaliste du Canard Enchaîné Dominique Simonnot et un journaliste du Monde.
Société d'espionnage israélienne, où travail désormais l'ancien ambassadeur français aux USA.#espionage #Nso #Israel #Maroc https://t.co/o81eoepWK2
— SMZ (@salim_zeina) June 22, 2020