En Guinée, la culture du riz dans les mangroves présente de nombreux avantages, mais subit des pressions liées aux activités humaines et au changement climatique.
Dans une majorité des pays ouest-africains, comme pour plus de la moitié de la planète, le riz – seconde céréale produite au monde – est la base de la ration alimentaire quotidienne.
En Guinée, sa culture rime pour partie avec les marées, puisque près d’un quart de la production guinéenne provient des plaines de mangroves, en zone côtière. Pourtant, si l’on s’appuie sur les données récentes issues de l’Atlas du zonage agroécologique de la Guinée, les plaines de mangroves n’occupent que 0,3 % du sol guinéen. Elles représentent 89 421 hectares, soit plus du quart de la surface totale occupée par la mangrove (327 453 ha).
Écosystèmes les plus productifs de la planète, les mangroves sont constituées de palétuviers, une espèce qui sert de bois de chauffe (pour le fumage de poisson par exemple) mais aussi de construction pour les habitations.
Les plaines de mangroves sont essentiellement situées en zone d’estuaires, ce qui permet un apport en matière organique des fleuves, disponibles pour la production rizicole (attestée depuis quelque 300 ans en Guinée), comme pour d’autres activités humaines.
Riziculture, pisciculture, saliculture
Les mangroves sont notamment un lieu de reproduction de poissons, et donc de pêche. L’association entre culture rizicole et production de poissons, ou rizipisciculture est récente en zone de mangrove guinéenne. C’est néanmoins un exemple intéressant d’association « à double bénéfice », le riz profitant des rejets organiques des poissons (engrais naturel) quand les poissons, vivant dans un écosystème de rizières relativement fermé, sont ainsi à l’abri des principaux prédateurs.
Enfin, la saliculture, qui se fait en Guinée par évaporation solaire ou au chauffage à bois des eaux salées (ou saliriziculture, puisque la culture du sel peut se pratiquer en alternance avec les périodes de culture du riz), est de plus en plus pratiquée en Guinée maritime, et permet une nouvelle source de revenus aux populations locales.
Un système très simple et très complexe
Le système de riziculture de mangrove est à la fois très simple et complexe à mettre en œuvre, car en zones soumises à l’influence des marées, l’idée est de gérer eau salée et eau douce en fonction des saisons.
En saison sèche, lorsque le riz a été récolté, l’intrusion d’eau salée dans les périmètres rizicoles apporte des éléments nutritifs, empêche le développement de mauvaises herbes et diminue l’acidification des sols qui aurait eu lieu sans intrusion salée.
En saison des pluies (les zones côtières reçoivent en moyenne 3,5 m d’eau par an), le dessalement de la rizière se fait par submersion d’eau douce ; puis le riz est planté et protégé de l’océan Atlantique par des digues construites souvent manuellement à cet effet.
Un système de digues, diguettes et drains/canaux permet une régulation de la lame d’eau, sur le périmètre irrigué et parfois jusqu’à la parcelle.
Une gestion des aménagements qui pose question
Le tableau n’est pourtant pas idyllique : notamment en vertu de « la permanence de défauts de mémoire, de différentiels de perception et de croisement des connaissances, des savoirs et des expériences » qu’a décrit le géographe Olivier Rue dans un long travail d’analyse historique critique produit à la fin des années 1990.
Il y propose ainsi un bilan qualifié de « faillite des interventions », en ce sens que les appuis techniques et financiers passés en faveur d’aménagements hydroagricoles en zones de mangrove n’ont pas donné les résultats initialement escomptés, en matière de durabilité des investissements comme d’amélioration des rendements agricoles.
En effet, la mise en œuvre de projets de développement est rendue complexe par la structure hydrogéologique de ces zones de balancement des marées, par la question de l’entretien et maintenance des infrastructures, et des structures et organisations sociales à l’œuvre.
À cette analyse, ajoutons que cette technique de culture propre aux pays du golfe de Guinée (en Guinée-Bissau, 80 % de la production de riz serait d’origine de mangrove) est actuellement sous tension.
Pressions multiples
Une pression anthropique tout d’abord, avec la progression démographique et le développement urbain qui met sous tension les espaces maritimes, y compris pour la disponibilité de main-d’œuvre pour l’entretien des aménagements hydroagricoles, la jeunesse ayant tendance à se détourner de ces tâches agricoles.
Une pression climatique ensuite, avec une augmentation du niveau de la mer qui vient défier les digues de protection, mais aussi une hausse des événements extrêmes, précipitations notamment.
Le riz de mangrove permet toutefois une stabilisation des zones littorales, si les infrastructures vertes (les digues sont constituées d’argile bien souvent) sont régulièrement entretenues.
Bien que les rendements soient modestes (de l’ordre de 0,5 à 2 T à l’hectare selon la Direction nationale du génie rural guinéen), les populations côtières, essentiellement les ethnies soussou et baga en Guinée, ont totalement intégré désormais à leurs habitudes alimentaires le « böra malé ».
« Riz de boue », un mets plébiscité
Ce « riz de boue » en langue soussou – ethnie majoritaire en zone côtière – fait référence aux particularités gustatives et organoleptiques du riz qui pousse dans les mangroves. La population de la capitale Conakry qualifie son goût d’exceptionnel. À cela s’ajoute une meilleure capacité de conservation que le riz importé (et un prix plus bas en période de récoltes). Il joue également une fonction culturelle et sociale, puisqu’il est notamment spécifiquement préparé à l’occasion de grandes cérémonies en Guinée.
Enfin, la culture du riz de mangrove a des impacts environnementaux au final limités : il est souvent associé au sein de projets de développement à des actions de protection de la faune et de la flore de mangrove et donc d’un moindre déboisement ; il ne nécessite ni herbicides ni engrais chimiques et peut en cela être qualifié de « bio ».
Saikou Yaya Balde, de la Direction nationale du génie rural au ministère de l’Agriculture et de l’élevage de Guinée, a contribué à la rédaction de cet article.
Timothée Ourbak, Responsable de Pôle, Agence française de développement (AFD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.