Depuis la fin du régime de Daniel arap Moi, le Kenya est vanté pour sa « maturité démocratique ». Mais les élections générales du 9 août prochain tiendront-elles leurs promesses ?
Le Kenya est la 13e démocratie africaine, selon l’Economist Intelligence Unit (EIU). Ce pays « est un exemple pour le reste du monde », estimait en 2017, au moment de l’invalidation de la réélection du président Kenyatta à la tête du pays, Amnesty International. L’International Crisis Group y voyait, de son côté, le fait que « le Kenya, une des sociétés les plus ouvertes d’Afrique, gagne en maturité démocratique ». Le jeu politique est, dans la réalité, beaucoup plus complexe.
A l’approche des élections générales du 9 août prochain, l’opinion publique suit avec attention les manœuvres politiques du président Uhuru Kenyatta. Après l’annulation des résultats des élections de 2017, suite à une plainte du chef de l’opposition Raila Odinga, Kenyatta avait été réélu sans forcer. Aujourd’hui, le chef de l’Etat et sa formation politique du Jubilee soutiennent… Odinga, contre le vice-président William Ruto, ancien allié de Kenyatta.
William Ruto, ancien allié du dictateur Daniel arap Moi, vient tout juste de former une coalition hybride, qui regroupe des partis de droite et de gauche, en cherchant à renforcer sa position. Mais avec le président actuel qui chante les louanges du triple perdant des dernières élections, Raila Odinga, le jeu politique prend aujourd’hui une tournure étrange. Malgré la fameuse « maturité démocratique » dont fait preuve le Kenya, la politique n’intéresse plus : à peine 12% des jeunes Kenyans ayant atteint l’âge de voter depuis 2017 se sont enregistrés pour aller aux urnes en août prochain.
Elections à haut risque
En réalité, si le Kenya est aujourd’hui vanté pour son multipartisme, nombreux sont les observateurs estimer que la situation politique dans le pays est loin d’être aussi mature qu’on veut le faire croire. Ils sont plusieurs à y voir la patte de l’ancien dictateur Daniel arap Moi. Pour le journaliste et activiste kenyan, John Githongo, les irrégularités lors des scrutins persistent, rappelant que le « duo dynamique » — le surnom donné par les Kényans au « couple » William Ruto et Uhuru Kenyatta — n’ont pas hésité à s’acheter des votes en 2013 puis en 2017. Un digne héritage de la dictature ?
« Avant ces deux scrutins, il y avait déjà des forces politiques clairement fabriquées par Moi (l’ancien dictateur, ndlr), un mélange d’opposition politique, de société civile, de médias, de responsables religieux et tribaux. En 2022, ces derniers sont en désarroi, et seul le duo (Ruto et Kenyatta) aura son mot à dire », déplore le journaliste en exil, qui a enquêté sur quatre décennies de corruption politique au Kenya.
Et l’activiste de poursuivre : « La vérité c’est que nous allons vers les élections en ne croyant en rien. Au mieux, nous cherchons. Toutes les formations politiques sont nées les unes des autres, et de nombreux compromis. Ceux qui ont fait de l’argent avec la politique s’affronteront, et les autres, eux, plongeront le museau dans la terre ».
Malgré les fleurs jetées par les médias occidentaux, le Kenya n’est donc pas forcément aussi stable qu’on le pense. Dès le mois d’août prochain, les populations craignent le retour des violences post-électorales, comme cela avait déjà été le cas en 2013. A l’époque, William Ruto avait fait l’objet d’un début d’enquête par la Cour pénale internationale (CPI).