« Si Facebook était un pays, ce serait la Corée du Nord ». L’an dernier, la journaliste britannique qui avait révélé l’affaire Cambridge Analytica décrivait dans The Guardian la dérive « totalitaire » de Facebook, écrivant que le réseau social est désormais « hors de contrôle ». C’est, à peu de choses près, ce que dit le président du Nigeria, Muhammadu Buhari. Censuré par Twitter, le chef de l’Etat a publié une longue diatribe sur Facebook dans laquelle ses services égratignent Twitter et… Facebook. Buhari rappelle comment le réseau social de Mark Zuckerberg a participé indirectement au massacre de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Et il prévient que « les grandes entreprises technologiques doivent assumer leurs responsabilités. Ils ne peuvent pas être autorisés à continuer à faciliter la diffusion de messages racistes, xénophobes et faux, capables de mettre des communautés dos à dos, entraînant des pertes de vies humaines ». En déclarant la guerre au terrorisme au Nigeria, Buhari s’est fait censurer par Twitter. Sa réaction a été immédiate : le chef de l’Etat a suspendu le petit oiseau bleu dans son pays.
Opération Carthage, Guinée et Ouganda
Muhammadu Buhari a agi en dictateur, diront certains. Mais de quoi Twitter et Facebook sont-ils le nom ? Les réseaux sociaux ont pris de plus en plus de place dans les vies des internautes africains. Et Jack Dorsey et Mark Zuckerberg profitent désormais de leur statut de rois du digital pour souffler le chaud et le froid. Buhari a été élu, Dorsey et Zuckerberg se sont imposés. Partout où les intérêts américains sont menacés, ils censurent. En fermant des comptes et des pages dans l’affaire Opération Carthage, du nom d’une société tunisienne qui a participé à des campagnes présidentielles pour le compte de candidats trop peu américanophiles. Ou encore en fermant les comptes de plusieurs responsables gouvernementaux ougandais pour mettre la pression sur Yoweri Museveni. Dans le même temps, Facebook laissait le régime Alpha Condé effectuer des opérations d’influence après la découverte d’un réseau bien organisé de pages faisant de la propagande pour le régime guinéen. Effectivement, Facebook n’a rien à envier à Kim Jong-un, ni même à Xi Jinping, le président chinois.
Facebook met la main sur les infrastructures
En agissant en fonction des intérêts américains sur notre continent, les réseaux sociaux Facebook et Twitter mettent à mal la souveraineté digitale de l’Afrique. Certains, comme Museveni hier ou Buhari aujourd’hui, prennent des décisions radicales. Mais le mal est plus profond. En ouvrant leur porte aux investisseurs privés dans les télécoms et dans le secteur de l’internet, et en laissant Facebook gérer elle-même les infrastructures, les différents gouvernements africains ont laissé toute la liberté aux géants américains de mettre la main sur le marché de la data. Ceux-ci en savent beaucoup plus sur leurs clients africains que les pouvoirs en place eux-mêmes. Là où les citoyens africains tentent de rester discrets en leur propre pays, ils laissent les géants du web stocker leurs données sur des serveurs en Irlande. Face à la dictature numérique, les Etats doivent aujourd’hui légiférer, sous la houlette de l’Union africaine. Au risque de perdre la main sur le web et de laisser les réseaux sociaux américains agir en toute impunité.